L'éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l'humanité
FN : défi pour la gauche
La réalité en face. Contrairement à ce que nous aurions pu croire il y a encore quelques semaines, l’élan électoral de Marine Le Pen n’a pas explosé en plein vol. Près de 6,5 millions d’électeurs ont, en toute conscience, choisi le bulletin de la honte. Un million de voix de plus que le père, en 2002. La performance, qui n’était alors qu’un exploit, frappe cette fois par son implantation nationale. Triste à admettre, le pays de Jaurès et d’Hugo est gravement malade. Malade du sarkozysme. Malade du lepénisme. On dit souvent que la France est « très à droite ». Disons plutôt que la droite est extrêmement à droite. Car, voyez-vous, quand la droite et l’extrême droite se disputent le même terrain idéologique, quand Nicolas Sarkozy annonce un 1er Mai antisyndical en utilisant des mots qui rappellent de lugubres souvenirs à la classe ouvrière, qu’entend-on ? D’odieux syllogismes vichystes. Et d’évidentes convergences pour l’avenir…
Le Pen a profité du tapis rouge que les Sarkozy, Hortefeux et autres Guéant ont déroulé sous ses pieds. Si l’argument à lui seul ne suffit pas à expliquer l’ampleur d’un vote, ne le sous-estimons surtout pas ! Identité nationale, immigration, islamalgame, méthodes ultra-sécuritaires, logiques d’exclusions, etc. : en imposant les pires débats, Sarkozy a désenclavé les thèses du FN, réveillant la bête nihiliste et préfascisante par temps de crise. Car l’atomisation sociale ne promet que ruine et haine de l’autre. Or l’histoire nous a enseigné un invariant : quand l’extrême droite se met à parler de social, le danger lui aussi devient extrême ! Le vote FN ne serait qu’un « vote de colère », rarement de nature idéologique. Est-ce toujours vrai quand la banalisation des idées xénophobes signe dans toute sa tragédie la responsabilité du sarkozysme depuis cinq ans ? Est-ce toujours vrai quand l’adhésion aux « idées » du FN dans l’opinion publique n’a jamais été aussi élevée, environ 30 % ?
Comment des individus, modestes, miséreux, peuvent-ils à ce point voter contre leurs intérêts ? Tout citoyen de raison reste confondu devant cette contradiction. La réalité du FN est donc un défi républicain pour la gauche. Pour le comprendre, prenons comme lieu d’étude quelques quartiers populaires sur lesquels beaucoup fantasment sans jamais y mettre les pieds ? Quel est par exemple le score de Le Pen en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne, départements si décriés dont on nous abreuve d’images anxiogènes ? 13,5 % et 11,8 %, autrement dit bien loin de ses résultats dans le Sud-Est, dans l’Est, dans les communes rurales ou périurbaines, où elle dépasse allègrement les 20 %. Moralité ? Dans certaines zones de grandes populations et de paupérisation, décrites comme le terreau du lepénisme, sa « représentante » ne représente pas grand-chose…
En somme, Le Pen est contestée là où les Français assument ce qu’ils sont, solidaires et universels, là où l’aspiration à l’égalité est le plus revendiquée, à commencer par les héritiers de l’immigration. Mieux, le lepénisme est contenu et parfois il recule là où le Front de gauche progresse, quand les militants de la République sociale se dévouent corps et âme, auprès du peuple qui souffre, dans cette difficile mais joyeuse tâche qu’est l’éducation populaire – l’arme absolue pour faire reculer l’obscurantisme et les peurs… Prochaine étape ? Soyons nombreux, aux côtés des syndicats, dans les défilés du 1er Mai ! D’ordinaire, seule l’extrême droite tente d’occuper le pavé parisien pour contester les revendications des travailleurs. Sarkozy a décidé de se rallier à cette tradition lepéniste. Rien d’étonnant.
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