L'urgence de sortir de la monarchie présidentialiste
La séquence électorale s’est terminée dimanche soir avec le second tour des élections législatives. Nous connaissons donc les députés qui pendant 5 ans vont siéger sur les bancs de l’hémicycle. Nous sommes nombreux à nous dire que cette nouvelle Assemblée nationale n’est décidément pas le reflet de la représentation politique, de la diversité d’opinions qui fait la richesse de notre démocratie.
Les deux partis dominants avec 56% des voix se partagent près de 90% des sièges. Ainsi il aura fallu 25226 voix pour élire un député socialiste, 34.162voix pour un député de l’UMP, 83.427 pour un député d’EELV et 179.219 voix pour un député du Front de gauche. Le Modem et le Front de gauche, dont les candidats ont rassemblé plus de 20% des voix au premier tour des élections présidentielles, comptent 12 députés sur 577, soit 0,02%. En Seine Saint Denis, avec 35% des voix le Parti socialiste rafle 75% des sièges
LES SOMMETS ONT ÉTÉ ATTEINTS AVEC L’ÉLECTION, POUR LA PREMIÈRE FOIS, DE 11 DÉPUTÉS DE L’ÉTRANGER . ILS ONT ÉTÉ ÉLUS AVEC 118.308 VOIX. POUR ÉLIRE 10 DÉPUTÉS DU FRONT DE GAUCHE, IL EN AURA FALLU 1.792.192 VOIX.
Ainsi au-delà du clivage gauche-droite, c’est le bipartisme qui est le grand vainqueur de cette élection. La monarchie présidentialiste et le scrutin majoritaire qui élimine une part considérable de l’opinion, donnent l’impression de ne plus être représentés…dans une démocratie représentative. La Vème République est à bout de souffle, la VIème frappe à la porte. On ne peut plus attendre, sauf à connaître des lendemains que déchantent.
L’autre grand vainqueur de ces législatives, est incontestablement, l’abstention, ayant pourtant fait l’objet de très rares commentaires. Et pourtant. Elle connait un chiffre record, jamais atteint depuis 1958. Alors que plus de 80% des françaises et des français se sont déplacés pour élire le Président de la République, ils n’étaient plus que 57%, 5 semaines après. La présidentialisation de la vie politique s’est dangereusement aggravée avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, voulues par la droite et le Parti socialiste. Le premier tour des législatives s’est en fait transformé en 3ème tour des présidentielles.
C’est naturellement le Parti socialiste, qui tire les marrons du feu, grâce au vote utile. Cependant méfions nous des grandes envolées sur une vague rose qui aurait tout emporté. Le succès du Parti socialiste est indiscutable, mais dans le cadre d’une abstention record. Pour l’histoire, en 1981, le PS avait obtenu 9.077.435 voix et 266 députés (1), mais avec 36 MILLIONS D’ÉLECTEURS INSCRITS. En 2012, il obtient 7.618.326 voix et 302 députés, mais avec 44 MILLIONS D’ÉLECTEURS INSCRITS. Ce simple rappel jette une lumière crue sur la grave crise démocratique que connait notre pays.
On peut résumer la campagne des médias à deux slogans : d’un côté « le PS appelait nos concitoyens à accorder une majorité large et cohérente au Président de la République » et de l’autre « la droite les suppliait de ne pas donner tous les pouvoirs à la gauche ». Pour le reste, peu de choses. Pardon, dans les jours précédant le scrutin qui allait fixer la composition de la représentation nationale, acte majeur dans une démocratie, le débat politique s’est perdu, évanoui, a été comme absorbé par des chroniques de cour, pour ne pas dire d’alcôve. Emploi, pouvoir d’achat, retraites, justice fiscale : ces mots là qui traduisent les premières préoccupations des gens vraiment « normaux », il fallait une oreille attentive entre les analyses sur le sur le statut de la première dame et l’influence des réseaux sociaux. Cette péripétie élyséo-charentaise aura joué négativement sur une élection qui a déjà été abaissée, par la pratique institutionnelle, à la seule fonction de vote d’enregistrement et de ratification de l’élection du président.
Cette abstention massive interpelle toute la gauche, y compris le Parti socialiste. Réjouissons nous que la droite ait été défaite. Prenons garde cependant, d’interpréter ce scrutin comme un vote d’adhésion « franc et massif ». Phénomène d’autant plus préoccupant que ce sont les ouvriers, les employés et les jeunes qui se sont davantage abstenus. Cela tempère sérieusement l’affirmation de Martine Aubry pour laquelle « les Français reprendraient confiance dans la politique ». Le Front de gauche, prenant la mesure de l’impasse institutionnelle dans laquelle est enfermée la souveraineté populaire, avance plusieurs mesures qui permettraient d’ouvrir un nouvel espace à l’expression démocratique, de mettre en place une VIème République établie sur la primauté de l’Assemblée nationale sur l’exécutif.
L’article 16 de la constitution qui permet une dictature présidentielle doit être abrogé. Pourquoi le Président disposerait-il du droit exclusif au référendum législatif ? Pourquoi, en dépit des désaveux de l’opinion lors de la dissolution de l’Assemblée comme en 1997, conserverait-il ses fonctions ? L’élection même du Président de la République au suffrage universel mérite d’être contestée en ce qu’elle instaure la primauté d’un seul sur tous et met aux prises deux légitimités concurrentes, la sienne et celle de l’Assemblée. L’Hôte de l’Élysée pourrait être désigné par le Parlement ou par un collège de grands électeurs.
Le gouvernement deviendrait responsable devant l’Assemblée élue à la proportionnelle intégrale, avec cependant une petite prime majoritaire. L’objection majeure de certains à l’égard de la proportionnelle concerne l’entrée du FN à l’Assemblée nationale. En 1986 ; L’extrême droite a disposé de 35 députés. On sait ce qu’il en est advenu. Sur l’essentiel leurs votes ont rejoint ceux des représentants de l’UMP. La clarté s’est faite aux yeux de l’opinion et en 1988 le FN n’a pas amélioré son score, malgré sa présence dans l’hémicycle. En étant écarté de la représentation nationale, le FN se pose en éternel victime, dénonçant les « partis institutionnels » ou comme hier « la bande des quatre ». C’est un vrai sujet de débat, il doit avoir lieu.
Il y a donc urgence de revoir en profondeur le mode de fonctionnement des institutions, dont la légitimité démocratique est aujourd’hui fortement mise en question. Le niveau très élevé du vote FN n’y est pas étranger. « Entre deux votes le peuple n’est plus rien » s’indignait déjà Jean-Jacques Rousseau. L’épisode électoral qui vient de s’achever devrait inspirer le Parti socialiste à ne pas reporter aux calendes grecques une réforme réactivant la démocratie parlementaire qui implique l’instauration de la proportionnelle. Il peut s’inspirer de l’exemple Allemand et de son parti frère, le Parti Social-démocrate (SPD). Mais dans ce domaine, comme dans bien d’autres ce sera aux citoyens de forcer le passage.
(1) en 1981, l'Assemblée nationale comptait 491 députés
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