Hommage de Pierre Laurent à l'occasion du premier anniversaire de la mort de Jean Ferrat
Pierre Laurent, secrétaire national du PCF
Antraigues, le 9 mars 2011
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Chère Colette,
Lorsque Jean s'est éteint, il y a tout juste un an, le 13 mars, on eut dit que chacun de nous ne serait plus que « cette heure arrêtée au cadran de la montre ». Pour nous ses camarades, pour la France, Jean chantait la vie. Il était la vie, alors comment serait la vie sans Jean ? Les communistes français perdaient un frère et la France, un fils, un artiste dans lequel elle se reconnaît tout entière. L'annonce de sa disparition saisit le pays à la veille du premier tour des élections régionales. Jean se rappela alors une dernière fois à nous pour nous dire l'essentiel : les mots tendres de Ma France résonnèrent aux 4 coins du pays et sur toutes les lèvres. Oui, cette France digne et généreuse existe, cette France courageuse et accueillante vit encore, notre France aimante, combative et inventive est bien debout.
Jean n'aura pas vu l'exceptionnel mouvement social contre la réforme des retraites dont on pouvait croire qu'il avait répondu à son appel tant les cortèges portaient sa présence, sa voix ; il n'a pas vu non plus les mouvements populaires tunisiens et égyptiens qui chassèrent leurs tyrans, ces révolutions « couleur d'orange » qu'il aurait tant goûtées, j'en suis certain. « Tu aurais pu vivre encore un peu », me suis-je dit, en venant lui rendre hommage aujourd'hui, avant que le souvenir d'une rencontre à l'humanité ne me rattrape bien vite. Le grand Jean Ferrat, l'humble Jean Ferrat ne laissait personne indifférent.
Depuis un an, la France, sa France, s'est chargée de combler son absence. L'hommage populaire que lui rend chaque jour le pays, jusqu'ici dans sa terre d'adoption d'Antraigues, n'a pas fini d'impressionner. L'empreinte de sa voix à nulle autre pareille est immense. Elle nous est toujours aussi précieuse. Jean avait appris de sa traversée de l'existence que, quelles que soient les difficultés et les obstacles, en faisant confiance à l'espèce humaine et à sa créativité, en cultivant notre fraternité, nous pouvons avoir toute confiance en l'avenir et persévérer : « L'homme ne se laissera pas ravaler au rôle d'animal, ni ne laissera enterrer ses espoirs – nous avait-il dit un jour pour L'Humanité et d'ajouter – La transformation sociale est toujours à conquérir. »
En Jean, le poète et le communiste ne faisaient qu'un : chanter toutes les beautés, toutes les bontés du monde sans en masquer les horreurs ni jamais renoncer à le transformer ; aimer l'autre tel qu'il est, se nourrir de la rencontre, jouir de la vie, des bons vins ou d'un paysage majestueux comme d'une œuvre d'art, puiser dans la contemplation la vitalité et l'énergie de la révolte. Car Jean avait trop intimement connu l'effroi et payé trop cher l'éruption de la barbarie dans ce XXe siècle pourtant autant rempli de promesses que de douleurs ; Jean savait trop bien ce que sont la perte, l'absence, la peine, l'odieux ou l'irrémédiable pour ne pas se jeter à cœur et à corps perdus dans le feu de l'existence.
Il était et serait toujours ce gars dans Ma môme, l'enfant terré dans les wagons de Nuits et brouillard, l'amoureux éperdu d'Elsa ouvrant ainsi à Aragon de nouvelles voies dans le cœur des Français ; il était moi, il était vous, il savait chuchoter à l'oreille de chacun, le rassurer, le réchauffer, le prendre dans ses bras, le secouer aussi, si besoin. Avec Jean, il ne s'agissait pas simplement de vivre, d'attendre satisfaction de la vie, il s'agissait encore moins de survivre mais bien d'exister, d'être –au sens plein du terme ; n'en rabattre ni sur ses joies, ni sur ses colères.
Lorsque Jean écrivit et chanta le Bilan, ce fut pour nous communistes un geste plus salutaire qu'aucune déclaration de personnalité politique ou philosophique. Il parla à ses frères, comme on leur parle dans ces moments où la raison doit triompher ; avions-nous tant combattu pour l'émancipation – la liberté de conscience, d'expression, d'organisation, d'action – pour nous taire quand elle était méprisée, souillée là où, plus qu'ailleurs, elle aurait dû régner ? Lui qui n'était pas membre du PCF, n'en fréquentait pas pour autant, du fait de sa notoriété, que des dirigeants et accordait toute son attention aux militants qu'il croisait et dont il a souvent avoué son admiration ; il ne se voulait ni au-dessus des uns, ni faire-valoir des autres, il était « avec », nous étions ensemble, c'est pourquoi en nous parlant avec autant de franchise que d'amour, Jean ne provoqua pas de fracture et aura sans doute fait, plus que quiconque alors, pour réveiller l'esprit critique et libérer la parole des communistes français.
Chère Colette, à toi, à son frère et toute sa famille, à tous ses amis ici et dans le pays, je veux redire combien chaque rencontre avec Jean fut source de bonheur et de plaisir ; j'ai connu ce bonheur, j'en suis toujours sorti plus riche et avec appétit ; ce bonheur est à présent inscrit en chacun de nous, que nous soyons membre ou non du PCF, la poésie et les mélodies de Jean nous accompagnent et nous rendent à chaque écoute, encore un peu plus humains, encore un peu plus forts, encore un peu plus heureux.
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