Une France malade du "reaganisme" de Sarkozy
La contre-réforme des retraites accentue
le sentiment d’injustice et de régression qu’a fait avaler un régime sarkozyste
« brutal et indigne »
aux Français. Ils en témoignent à Paris.
Un malaise profond de la société française. C’est le sentiment qui prime. Dans les cortèges, comme à Paris, de plus en plus de slogans, de pancartes, d’affiches pointent d’autres sujets de mécontentement : baisse du pouvoir d’achat, des pensions et des aides sociales, liens affichés entre pouvoir et argent… Points de crispation sous-jacents depuis des années, que la présidence Sarkozy a exacerbés.
Sur le gilet de chantier de Catherine, 65 ans, la même question que celle qui tourne en boucle dans sa tête : « La France, pays des droits de l’homme ? » Pas vraiment « malheureuse », cette Thiaisienne compte pourtant les coups : « Divorcée, ma demi-part fiscale va être supprimée, comme l’a été mon allocation logement, quand on m’a mise à la retraite à 63 ans, après deux ans de chômage. » Un pouvoir d’achat en baisse malgré les promesses sarkozyennes, et le loyer qui augmente… de quoi provoquer une froide colère qui « ne s’éteindra même pas » en 2012.
Les problèmes d’emploi et de salaire restent des « préoccupations majeures, malgré ce mouvement qui les a éclipsées – dans les médias plus que dans le quotidien des gens », sourit Antoine, chômeur, la quarantaine sportive. Mais dans le mille-feuille antisocial, on trouve toujours un problème plus grave qui chapeaute le précédent. « Le problème des salaires passe derrière celui de l’emploi, qui cède devant celui des retraites, plus universel. » Mais celui dont « tout découle », c’est « l’inégalité de la répartition des richesses ».
L’idée d’une « meilleure répartition des richesses » s’ancre dans la population. « On commence à ouvrir les yeux, à voir que tout se connecte pour revenir aux bourses mondiales », lâche un cadre, « primo-manifestant », au pied d’une affiche sur laquelle trois « Sylvestre » des Guignols, caricatures de capitalistes, se partagent la planète. Mireille Guérin est facilement repérable sous son panonceau « Union des magouilleurs pourris : rendez l’argent de la vieille ! » « Tout est détourné au profit des riches. Bouclier fiscal, exonération des heures supplémentaires, maintenant disparition programmée de l’ISF… » Son ras-le-bol fait écho à ce que confiait un peu plus tôt Catherine : « C’est comme si Sarkozy portait une grosse étiquette sur son front : “Je vous méprise”. »
Hans Brodersen, professeur d’allemand à HEC, a l’avantage de pouvoir comparer avec la situation européenne. Sur la pancarte qu’il tient à bout de bras, le slogan qui retient l’attention dénonce l’utilisation du produit national brut : « 15 % pour la rémunération du capital, 1,5 % pour les salaires. » « Le capital ne s’est jamais autant développé que ces vingt dernières années, sous l’impulsion des sociaux-démocrates, avec Blair au Royaume-Uni et Schröder en Allemagne. C’est lui qui a imposé la flexibilité au marché du travail allemand et, aujourd’hui, 7 à 8 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. La coalition actuellement au pouvoir n’a fait que poursuivre cette politique. » La France suit le même processus : « On coupe la Sécu, la santé, les services publics par tranches, livrés au privé. »
L’expérience d’Alain Sciaravello, contrôleur à la RATP, confirme cette vente à la découpe de l’État par « le passage de plusieurs services de contrôle – un par entité, métro, bus ou tram – à un seul service global. Les effectifs sont passés de 1 200 contrôleurs à 800, avec perte de primes et de salaires (jusqu’à 1 000 euros par mois pour lui et sa femme, également contrôleuse – NDLR). Le but, c’est de créer un service qui fait du rendement, et d’ici deux ou trois ans, de le vendre à Veolia, comme ça s’est fait ailleurs »…
« Un pouvoir brutal, indigne. Sarkozy, qu’as-tu fait de la France ? », a écrit en gros cet ouvrier. Restriction du périmètre de l’État, collusion avec les grands industriels et affairistes auxquels « on livre des pans entiers des services publics, voire pour qui on prépare les réformes ». L’offensive néoconservatrice à grande échelle menée par le régime sarkozyste depuis son élection a un air de déjà-vu. « C’est la petite musique du reaganisme » qu’on rejoue en France. Avec les conséquences que l’on sait. « Si Sarkozy – ou Strauss-Kahn, c’est kif-kif – repasse en 2012, on ne pourra pas dire que nous n’étions pas prévenus… »
Grégory Marin
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