LE BLOG DES COMMUNISTES DE ROMAINVILLE

lundi 14 janvier 2019

GILETS JAUNES. COMMENT CE MOUVEMENT DÉJOUE TOUS LES PIÈGES DU POUVOIR (MAUD VERGNOL)


De l’arnaque du grand débat national aux provocations et tentatives de division, toutes les ruses de la majorité échouent face à un mouvement inventif qui bouscule tous les codes. La lettre du président adressée aujourd’hui aux Français n’échappera pas à la règle.

Ce n’est pas avec une lettre sur le grand débat national qu’Emmanuel Macron reprendra la main. Englué dans la crise, le pouvoir multiplie les ruses pour discréditer et éteindre la colère populaire. Mais rien n’y fait. Miser sur un essoufflement après les fêtes ? Non seulement l’acte IX de samedi a remobilisé massivement, mais il a même dépassé celui du 15 décembre, avec 84 000 participants, dont 8 000 à Paris, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Mieux, de nouveaux manifestants rejoignent le mouvement (voir ci-contre), loin du « noyau dur venu pour casser et pour tuer », selon l’Élysée, qui avait parié sur un climat de violences incontrôlable. Mais, samedi, les défilés se sont déroulés dans une ambiance, bon enfant, au point que Christophe Castaner lui-même a fini par concéder qu’« aucun incident notable » n’était à déclarer.
Dans les cortèges qui ont arpenté la capitale, l’ambiance était sereine
Encore loupé, donc, pour le gouvernement, empêtré dans une crise sociale et politique inédite, dont il refuse toujours de comprendre l’ampleur et l’enracinement, comme en témoigne encore la lettre publiée aujourd’hui par Emmanuel Macron (voir ci-contre). La majorité avait pourtant mis les bouchées doubles, en fin de semaine, pour souffler sur les braises à la veille d’une mobilisation qui s’annonçait inflammable. Le ministre de l’Intérieur s’était même dépassé en annonçant que « ceux qui viennent manifester dans des villes où il y a de la casse qui est annoncée savent qu’ils seront complices de ces manifestations-là ». Conséquences de la stratégie autoritaire de répression, les policiers étaient quasi aussi nombreux que les manifestants dans tout l’Hexagone. Mais les gilets jaunes ne sont pas tombés dans le piège.
À Paris, dans les différents cortèges qui ont arpenté la capitale, de Bercy aux Champs-Élysées, en passant par République et Bastille, l’ambiance était même plutôt sereine. Des dizaines de brassards blancs portés par des manifestants en tête et en bord des cortèges ont fait leur apparition avec l’idée de créer un « service d’ordre structuré ». « L’objectif, c’est que ça ne chauffe pas. On fait tampon, on prendra peut-être des trucs (coups et projectiles – ndlr), mais ça évitera que tous les autres manifestants en prennent », explique à l’AFP Bryan, employé dans le bâtiment de 36 ans, qui s’est porté volontaire le matin. Car les violences policières sont dans toutes les bouches. Place de la République, où le « mouvement citoyen des gilets jaunes » tient chaque samedi une table pour organiser sa « consultation citoyenne sous forme de votation », des gilets jaunes se félicitent « qu’ici au moins, il y a moins de casseurs ! ». « C’est un rassemblement pacifiste et, depuis le début, il n’y a pas eu d’incident parce qu’on veille à ce que ça se passe bien », explique Kamel Amriou, président de l’association. « Je préfère venir à République car c’est plus calme, confie Monique, une retraitée parisienne qui survit avec 1 200 euros par mois, dont plus de la moitié part dans son loyer. La dernière fois (le 15 décembre - NDLR), aux Champs-Élysées, j’ai vraiment eu peur de mourir. » D’autres s’agacent : « Oui, mais ici il ne se passe rien ! » lance une jeune femme qui cherche en vain où peut se trouver le « grand » cortège des gilets jaunes… Car le jeu du chat et de la souris, inventé par les organisateurs pour semer les forces de police, déconcerte aussi certains manifestants, perdus dans les rues de Paris à la recherche du point de rendez-vous.
Mais c’est aussi une grande force du mouvement : être là où la police ne l’attend pas. Ainsi, samedi, plus de 200 personnes ont manifesté près de la villa des Macron dans la très chic station balnéaire du Touquet. Le 22 décembre, quand on les attendait à Versailles, c’est finalement dans les rues de Montmartre que les gilets jaunes s’étaient rassemblés. « Les poulets se sont fait poser un lapin », pouvait-on lire sur les réseaux sociaux.
« La lutte des classes s’habille en jaune »
Les gilets jaunes laissent aussi leur empreinte dans l’imaginaire collectif, qu’elles soient peintes à la hâte sur les murs ou écrites au dos de leurs gilets : « Nous ne voulons plus être des moutons tondus dirigés par des oies qui se gavent. » « Les capitalistes vivent au-dessus de nos moyens. » « La lutte des classes s’habille en jaune. » « Macron et les Cac-40 voleurs »… Autant de slogans chantés ou tagués samedi dans les rues de la capitale, qui ont résonné des habituels « Macron démission ! ». Le matin, une banderole « La foule haineuse porte l’uniforme » avait ouvert le cortège parti de Bercy, en référence aux propos du président de la République, qui avait fustigé, lors de ses vœux, les « porte-voix d’une foule haineuse ». Vendredi, lors d’une de ses rares interventions publiques, et encore, elle se déroulait entre les murs de l’Élysée, Emmanuel Macron a récidivé, affirmant que « les troubles que notre société traverse sont aussi parfois dus, liés, au fait que beaucoup trop de nos concitoyens pensent qu’on peut obtenir sans que cet effort soit apporté ». Une provocation qui vient s’ajouter à une longue série de propos méprisants. « Il se fout de nous ! Ça fait trente ans qu’on nous rabâche qu’il faut faire des efforts ! s’insurge Vanessa, une enseignante parisienne. Moi, je suis prof, donc je ne suis pas la plus à plaindre, et pourtant, ça fait des années qu’on n’y arrive plus, qu’on peut plus se payer des petits plaisirs. » « Les riches, ils en font des efforts pour créer de l’emploi, pour payer leurs impôts ? » demande une militante d’Attac qui distribue aux manifestants de faux billets de 60 milliards d’euros pour symboliser le racket de l’évasion fiscale.
Car le mouvement des gilets jaunes, en dépit des tentatives de récupération de l’extrême droite ou des manipulations du gouvernement (lequel voulait introduire le Mariage pour tous dans le grand débat…), a chassé les paniques identitaires pour remettre au cœur du débat public les urgences sociales. « Le rétablissement de l’ISF arrive largement en tête des votations », explique Kamel Amriou devant une urne remplie à ras bord. Quelles que soient les annonces du pouvoir, qu’il tente la carotte ou le bâton, la majorité n’a plus aucune prise sur le mouvement. D’autant que de nombreuses convergences s’organisent sur le terrain. À Toulouse, CGT et gilets jaunes (lire page 7) ont décidé de se mobiliser ensemble pour « bloquer les camions, et donc l’économie ». Une expérience qui pourrait faire tache d’huile.
Maud Vergnol

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