Rendez-vous manqué, l'éditorial de Paule Masson
«Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous», disait Paul Éluard. Ce rendez-vous-là a été fixé et il est manqué. C’était en septembre2012, le président
de la République prenait date :
« Nous devons inverser la courbe du chômage d’ici un an.» Voyant les chiffres grimper inexorablement, il s’est accordé un retard de quatre mois, prétextant en juillet que «a reprise est là» et en novembre que «l’inversion de la courbe du chômage est désormais amorcée».
Rien n’y a fait. Les statistiques viennent de tomber. La France compte près de 3,3 millions de demandeurs d’emploi (sans aucune activité). Le chômage a progressé de 5,7% en un an et de 0,3 % en décembre. Selon l’Insee, la courbe tend à se stabiliser. Au prix d’une incroyable précarisation du travail.
Le ballet des ministres s’est déjà mis
en mouvement pour assurer la parade. La faute au hasard, aux aléas, à la conjoncture : la crise, sa sous-estimation, le manque de croissance économique. La rengaine commence à user les oreilles mais nous avons pourtant déjà droit à son entêtant refrain : pour réussir, il faut aller plus loin. « L’économie doit prendre le relais de la création d’emplois », assure Michel Sapin, ministre du Travail. Pour les salariés, c’est la double peine assurée. L’austérité budgétaire, qui gouverne l’économie depuis six ans, tarit les sources de croissance, appauvrit les services publics et crée du chômage. L’expérience est là mais François Hollande vient de décréter 50 milliards d’euros d’économies supplémentaires. Et il ajoute à ce mauvais cocktail le jus amer du laisser-faire pour les entreprises.
Il n’aura d’ailleurs fallu que quelques jours pour que toute idée de « contreparties » au cadeau de 30 milliards d’euros accordé au Medef avec le « pacte de responsabilité » soit remisée sous le tapis. « En réalité, il n’y en a qu’une, c’est l’emploi, l’emploi, l’emploi », a claironné hier le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, à la barbe des syndicats qui franchissaient le perron de Matignon les bras chargés de propositions pour contraindre les entreprises à prendre leurs responsabilités. Car le jour même où s’ouvre la concertation sur ce que les salariés pourraient gagner dans l’affaire, le deal est déjà bouclé avec le patronat. « Aujourd’hui, en France, on supprime l’emploi public et on subventionne l’emploi privé », a dénoncé Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, pendant son entrevue avec le premier ministre.
Il est pourtant possible d’impulser pour
une politique de relance de l’emploi. Mais il faut ouvrir un débat politique jusqu’ici refusé : celui de la conditionnalité des aides. Les fonds débloqués pourraient par exemple cibler des groupes industriels en proie à la concurrence des pays à bas coût de production. Ils pourraient être inégalement répartis, favoriser les entreprises qui embauchent, augmentent les salaires, investissent dans la recherche, innovent, respectent l’égalité hommes-femmes, et sanctionner celles qui pratiquent la course aux profits et à la rémunération
des actionnaires. Hier, la CGT a proposé de créer un « indice public du coût du capital » afin d’évaluer le montant du racket ponctionné sur le travail depuis deux décennies au détriment d’une meilleure répartition des richesses. Prendre la question par ce bout permettrait d’inverser la logique du débat. Si le coût du capital
est responsable de la crise, alors, le meilleur moyen
d’en sortir passe par une revalorisation du travail.
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