Edito : De la détermination
L'éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin. "Se souvenir des sourires et des poings dressés, de la confiance sans relâche de la force de nos convictions, car le progrès n’est pas rêve vide dans la matrice du « dessein intelligent » des hommes".
Les contrastes sont par définition saisissants. Mais ceux auxquels nous avons assisté, ce week-end, les yeux grands ouverts et la conscience en éveil, ont provoqué en nous des sentiments tellement inversés que nous avons oscillé entre, d’un côté, la joie philosophique de se retrouver autour de valeurs indiscutables qui conjuguent l’être-ensemble et l’épanouissement humain et, d’un autre côté, l’effroi d’un immonde pressentiment de dégoût quand des conservateurs, des ultraréactionnaires et des fascisants de toute espèce défilent ensemble.
Lumières ou ombres : deux visions du monde se sont opposées dans des défilés si différents que rien, absolument rien, ne peut les rapprocher. Samedi, à Paris, à Madrid et dans toute l’Europe, des dizaines de milliers de progressistes ont dénoncé les atteintes aux libertés des femmes et défendu le droit à l’IVG – et bien plus que cela en vérité. Hier, à Paris et à Lyon, des milliers d’illuminés de dieu et autres adulateurs d’obscurantisme, propagateurs de peurs en tout genre et de rejets de l’autre ont de nouveau souillé le pavé avec leur « Manif pour tous » et leur « Jour de colère », comme ils disent. Une fois encore, ce mouvement de revanchards fidèles aux vieux principes de la réaction nous lasse autant qu’il nous inquiète…
Rongés par la haine de l’esprit, de la raison et des principes même d’égalité, les tenants d’une vision de la France identitaire et éternellement figée dans un moule traditionaliste réactivent les bas instincts et entravent l’à-venir. Par un mouvement d’involution qu’on croyait inenvisageable, jamais depuis la guerre certains Français n’ont à ce point engendré une logique de bouc émissaire dont les ressorts, probablement, nous ramènent en partie aux années 1930 et sur lesquels se greffent les ressentiments d’une époque dont la conscience démocratique, en tant que projet collectif, a vacillé sous les assauts du libéralisme globalisé. Le repli identitaire n’est que désespérance. Mais la montée des pulsions ultraréactionnaires et d’extrême droite ne se nourrit pas seulement de l’inculture crasse, du rejet de la différence et de vrais débats de civilisation, du goût de l’ordre et de la baisse de l’idéal républicain. Elle tient aussi à l’accroissement spectaculaire de la crise économique et sociale, et à la détresse qu’elle produit en particulier dans les couches populaires…
Ce lamentable épisode de notre histoire contemporaine n’est pas fatal. À condition de ne pas se laisser faire. D’abord : répliquer, partout et en toutes circonstances, pour combattre sans merci les cris haineux, racistes, antisémites, homophobes, sexistes et les pensées crépusculaires des cyniques nihilistes qui banalisent le rejet de la République. Ensuite : se souvenir des sourires et des poings dressés, de la confiance sans relâche de la force de nos convictions, car le progrès n’est pas rêve vide dans la matrice du « dessein intelligent » des hommes. Qu’on se le dise : l’espoir est aussi de la détermination.
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