LE BLOG DES COMMUNISTES DE ROMAINVILLE

mercredi 29 janvier 2020

« Trump et Netanyahou ont pris en otage la question israélo-palestinienne » (Interview de Leïla Shahid, lue dans l’Humanité de ce jour)



Ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid dénonce la collusion entre Trump et Netanyahou, et regrette le peu de poids des européens.

Quel est le but ultime recherché par Donald Trump avec ce plan ?

LEÏLA SHAHID : Nous assistons à une mascarade rarement vue dans la politique internationale, entre deux hommes qui sont en train de couler. Trump fait face à une enquête qui pourrait lui coûter très cher pour entreprendre un deuxième mandat. Netanyahou est à quelques semaines d’une élection et espère, en annonçant un soi-disant plan de paix, prendre le pas sur son adversaire, Benny Gantz. Il est assez effrayant de voir comment la paix et la stabilité dans le monde dépendent de deux hommes qui sont comme des chiens enragés pour rester au pouvoir. Ils ont pris en otage la question israélo-palestinienne. Il est tragique de voir comment les puissances dans le monde, à commencer par l’Union européenne, n’arrivent pas à compter face à cette immense manipulation. Ce « plan de paix », dont on parle depuis trois ans, est soudainement révélé le jour même où le Sénat américain doit statuer sur Trump et la Knesset sur Netanyahou. Il ne faut pas être naïf.

Ce qu’ils proposent, d’ailleurs, ne correspond qu’à ce qui peut leur rapporter des voix afin de rester au pouvoir. Ce faisant, nous assistons à la décomposition des relations internationales. Nous payons également la fracture de la division de l’Union européenne. Comment peut-on proposer un accord en l’absence des parties principales, la partie palestinienne ? Il n’y a même pas une partie arabe. Ceux qui ont assisté en juin, au Bahreïn, à la première phase du plan, la phase économique, ne représentent que leur pays et ils n’ont parlé que d’argent. Le conflit israélo-palestinien a toujours été au cœur  de ce qui se passe en Méditerranée. Jamais çà n’a été aussi clair qu’aujourd’hui. Mais ils ont fabriqué un ennemi fictif qui s’appelle l’Iran et sont prêts à susciter un nouveau conflit.

Depuis que ce plan est évoqué, Trump n’a jamais parlé d’un État palestinien. Qu’est-ce qu’il faut comprendre ?

LEÏLA SHAHID : S’il devait y avoir un État palestinien, Donald Trump n’aurait pas déclaré que Jérusalem est la capitale de l’État d’Israël, il n’aurait pas annulé les résolutions concernant les réfugiés, il n’aurait pas arrêté l’aide aux Palestiniens, il n’aurait pas fermé l’ambassade de Palestine à Washington. Il n’aurait pas soutenu Israël uniquement comme l’État du peuple juif. C’est pour cela que le président Abbas ne parle pas à Trump et à Netanyahou depuis plus d’un an et demi.

Ils auront beaucoup de mal à faire adopter ce plan. Ils seront surpris. Pas seulement par les Palestiniens, pour qui il est hors de question d’accepter un tel plan et qui retrouveront peut-être leur unité. Et çà va redonner du tonus à ceux qui, dans le monde arabe, défendent leur dignité, comme les Libanais, les Algériens, ou les Irakiens qui se lèvent pour réclamer leurs droits.

Ce plan est une tentative pour revenir à l’annexion totale des territoires palestiniens, exclure la question des réfugiés et celle de Jérusalem. Mais cela va plus loin. Ils cherchent à dire ainsi que l’État des Palestiniens est en Jordanie. C’est pour cela qu’Abdallah II, le roi jordanien, est en tournée actuellement. Il met en garde sur les conséquences pour le royaume hachémite dont on voudrait faire l’alternative à un État palestinien. Il est évident que cela ne marchera pas. Mais cela va aggraver la déstabilisation de la région. Ils prennent en otage la partie la plus faible, qui est sous occupation militaire.

Quelle la marge de manœuvre des palestiniens ?

LEÏLA SHAHID : Elle n’est plus d’ordre diplomatique pour une bonne et simple raison qu’il n’y a plus de diplomatie au Proche-Orient. Ni chez les Palestiniens, ni chez les Égyptiens, ni chez les Jordaniens. Depuis que Donald Trump est arrivé au pouvoir, il a détruit tout ce qu’on appelle les termes de référence des négociations de paix qui ont commencé en 1993. Cela fait vingt-sept ans que nous essayons de discuter. Mais il est évident qu’il n’y a aucune négociation de paix. Ce qui est nouveau est que le premier ministre israélien a avec lui un président américain qui se fiche du droit international, de l’équilibre international, de la paix. Nous sommes dans un monde de brutes, un monde qui a perdu ses repères.
Les Palestiniens se battent depuis un siècle. Ils ne se font pas d’illusions. Le monde arabe a été scindé en deux avec la défection de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et du Bahreïn, à cause du conflit avec l’Iran, qui se retrouvent alliés aux Israéliens. Il y a une situation de guerre civile provoquée par les américains avec l’occupation de l’Irak en 2003 qui a abouti à la décomposition de ce pays. C’est également le cas de la Syrie. Je redoute ce qui peut se passer au Liban. Sans parler de la Lybie et du Yémen. Les pays arabes ont été collectivement en faveur des Palestiniens et de leurs droits. Ce monde arabe est décomposé.

Après un siècle de luttes, je ne pense pas qu’un an ou deux de plus ou de moins vont changer quelque chose. Nous sommes arrivés au bout d’une approche de négociations directes. Les accords d’Oslo sont morts depuis longtemps, malheureusement. L’Union européenne était une alternative à la super - puissance américaine. Aujourd’hui, il n’y a même plus ce minimum d’accord qui existait auparavant entre Washington et Bruxelles. Il faut donc que les Palestiniens retrouvent leur capacité à rester sur leur territoire, d’être résilients et de continuer à être ouverts, c’est-à-dire proposer une coexistence avec Israël mais sur des bases claires : un État qu’Israël respectera. Ce qui est loin d’être l’idéologie de ceux qui gouvernent Israël aujourd’hui.

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