« PEUPLE ALGÉRIEN : MATURITÉ, RADICALITÉ », L’EDITORIAL DE JEAN-EMMANUEL DUCOIN DANS L’HUMANITE DE DEMAIN LUNDI
Renouer avec les
idéaux de justice sociale et l’esprit de l’indépendance… Plus de doute : ce qui
se déroule en Algérie ressemble, désormais, à un mouvement de masse de type
pré- révolutionnaire. La démonstration du peuple, vendredi 8 mars, dépasse de
loin tout ce que le pays a connu depuis trente ans. Combien étaient-ils ces
manifestants, ces étudiants, ces lycéens, premiers à protester et rejoints
aujourd’hui par une grande partie de la population de tout âge, dont de
nombreuses femmes ? À Alger, des flots ininterrompus de citoyens venant des
différents quartiers se sont déversés sur les grandes places. Une marée humaine
couvrant toutes les grandes et petites artères de la ville, à croire que toute
la capitale était descendue dans la rue exprimer sa colère. Ce fut semblable à
Oran, Béjaïa, Sétif ou Ghardaïa. Des millions ont répondu à l’appel. Comme un
sursaut d’orgueil pouvant remettre l’histoire à l’endroit.
Jamais une cause n’a
mobilisé autant la société dans toutes ses composantes. L’ambiance n’est déjà
plus la même. Au refus d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika viennent
s’ajouter des revendications d’une maturité et d’une radicalité exemplaires.
Beaucoup de manifestants avaient même ressorti les drapeaux ternis par le temps
de la guerre d’indépendance – un geste symbolique qui témoigne de la
considération qu’ils ont vis-à-vis du clan Bouteflika, aux affaires depuis
1999. Malgré l’avertissement du pouvoir contre les risques de « chaos » et de
« retour à la guerre civile comme en Syrie », ces femmes et ces hommes debout
ont tenu à marquer leur présence dans un pacifisme total. Face à ce peuple
fabuleux de dignité et de détermination, le système semble bel et bien se
désintégrer. Si les tenants du régime escomptaient un essoufflement du
mouvement, ils ont leur réponse. Cinglante. Aucune voix, dorénavant, ne sera
supérieure à celle de ce peuple, qui réclame un changement irréversible dans la
manière dont est géré le pays.
Devant ce moment
d’Histoire, il n’est pas inutile de rappeler que la France n’a rien à dire,
rien à faire qui pourrait crisper la situation. Édouard Philippe a raison de
rappeler qu’il s’agit d’un « pays souverain » et que « c’est aux Algériens
qu’il revient de prendre les décisions sur leur avenir ». Mais alors, pourquoi
son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a-t-il osé déclarer :
« Nous devons laisser le processus électoral se dérouler » ? Quel
« processus » ? Savoir se taire s’avère indispensable. D’autant que les
Algériens préparent une semaine de désobéissance civile, une étape sans doute
décisive dans la résistance. Le fleuve de la colère est sorti de son lit : il
n’y retournera pas.
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