MOUVEMENT SOCIAL. 300 000 MANIFESTANTS SUR LES PAVÉS POUR PESER
À Paris, à Lyon et
dans toute la France, hier, salariés, chômeurs, retraités, syndiqués et gilets
jaunes, à l’appel de la CGT, FO, Solidaires, la FSU, l’Unef et l’UNL, ont tenu
à porter le débat dans la rue pour influer sur les décisions politiques à venir.
Soleil et sondage réconfortants étaient au rendez-vous, hier, pour
accompagner la mobilisation interprofessionnelle. Selon le baromètre Odoxa, 73
% des Français soutenaient cette journée nationale de grèves et de
manifestations syndicales. « Quand il n’y a pas d’autres solutions, on
mobilise », affirmait Yves Veyrier, le numéro un de Force ouvrière, rejoignant
dans le carré de tête parisien ses homologues de la CGT, de Solidaires, de la
FSU, de l’Unef et de l’UNL, à l’origine de l’appel à défiler dans les rues.
« La mobilisation continue, assurait Philippe Martinez, le secrétaire général
de la CGT. C’est un tout, avec ce qui se fait le samedi avec les gilets rouges,
jaunes, verts. Le grand débat est, semble-t-il, terminé. Les questions sont sur
la table et il faut des réponses sur les salaires, la justice fiscale, les
services publics. »
S’il était impossible à ces organisations syndicales de participer au grand
raout présidentiel sans risque d’être instrumentalisées, elles tiennent
toujours à peser sur les décisions politiques à venir en matière sociale.
« Nous ne voulons pas rester spectateurs, insistait Yves Veyrier, mais nous ne
pouvions pas participer. Nous voulons garder notre liberté d’expression.
Aujourd’hui, dans la rue, nous allons faire en sorte d’être entendus sur le
pouvoir d’achat et la hausse du Smic. »
« La méthode et le
fond de la réforme Blanquer font réagir »
« C’est pas par les débats, c’est pas par les bla-bla qu’on obtiendra
satisfaction », pouvait-on entendre tout au long du parcours. « Le secteur de
l’éducation est assez mobilisé cette fois-ci, remarquait Bernadette Groison,
secrétaire générale de la FSU. La méthode et le fond de la réforme Blanquer,
actuellement au Parlement, font réagir : rien n’a jamais été discuté avec la
communauté éducative. Et la loi risque d’augmenter les inégalités scolaires. »
Quelques centaines de mètres plus bas sur le boulevard, des enseignants tout de
rouge vêtus se sont justement regroupés. Sous une pancarte « Enseigner sans en
saigner », Barbara, 32 ans, en charge de classes de CM1-CM2 à
Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), a barré ses lèvres au feutre rouge. « La loi
Blanquer va passer sans qu’on soit informés ou consultés. L’article 1 nous
demande de nous taire, de ne pas diffuser nos idées, y compris dans la sphère
privée, c’est choquant ! » À ses côtés, le directeur de son école, syndiqué au
SNU, s’inquiète des remplacements possibles d’enseignants par des surveillants,
des vacataires, du personnel non formé : « Sans parler de tous les postes
para-enseignants comme psychologue ou médecin dans les écoles qui vont
disparaître. Comment va-t-on travailler ? Je suis bientôt à la retraite, mais,
si j’avais eu encore dix ans à travailler, j’aurais changé de secteur. » Et ce
n’est pas leur salaire qui suffira à faire taire ces « stylos rouges ».
« On est tous là pour défendre le pouvoir d’achat, qu’on soit du public, du
privé, ou retraités, renchérit Patricia Lasalmonie, secrétaire générale de
FO RATP. Perso, la seule réponse, c’est d’augmenter tous les salaires. Il
nous faut de vraies mesures collectives, et pas des petites augmentations
individualisées ou quelques primes pour les uns. Je suis obligée de vivre à 70
km de Paris pour me loger car la ville est trop chère. Il y a trente ans, à la
RATP, on habitait tous aux portes de Paris. » Sous une triple casquette
CGT-retraitée-PCF et portant gilet jaune, Marie-Hélène Bourlard distribue des
tracts pour les élections européennes. L’ouvrière est candidate sur la liste
conduite par Ian Brossat, présent lui aussi à la manifestation avec d’autres
responsables communistes, parmi lesquels le secrétaire national du PCF, Fabien
Roussel, et le sénateur de Paris Pierre Laurent. « Les gens demandent à vivre
dignement du fruit de leur travail, explique Marie-Hélène Bourlard, c’est pourquoi
ils sont aujourd’hui dans la rue. Il nous faut un Smic européen qui ne soit pas
tiré vers le bas, mais qui atteigne le niveau de celui du Luxembourg à 2 000
euros. » Redistribuer les richesses, vivre dignement, des slogans qui font écho
aux revendications des salariés d’Air France, des finances publiques, des
hôpitaux, des sans-papiers qui occupaient la veille encore l’entreprise Pinault
et Gapaix, en Seine-Saint-Denis (voir notre article en dernière page)…
« Macron président des
riches ! » « Grand débat : grand blabla ! »
À Lyon, environ 9 000 personnes avaient défilé dès le matin, de la
Manufacture des tabacs à la préfecture du Rhône, à l’appel de l’intersyndicale,
au son de « Macron président des riches ! » et « Grand débat : grand bla-bla ».
Comme dans le cortège parisien, les fonctionnaires et singulièrement les
enseignants étaient présents en nombre, aux côtés de travailleurs du privé.
« On est en train de se faire exploser par le président le plus mal élu de la
Ve République », insiste Brahim Gacem, secrétaire général de Force
ouvrière aux hospices civils de Lyon. « La loi sur le statut de la fonction
publique revient à casser le statut de fonctionnaire et à faciliter les
privatisations », dénonce le syndicaliste. D’après lui, tout ce que fait Emmanuel
Macron – de l’attaque contre le salaire différé que constituent les
baisses de cotisations sociales à la dernière loi santé – est « 100 %
libéral ». « On va encore fermer des maternités et éloigner des femmes
enceintes du lieu où elles pourront accoucher », redoute-t-il. Pour Brahim
Gacem, la seule solution pour faire plier l’exécutif : « Bloquer l’économie ».
« Il faut les acculer, jusqu’à ce qu’ils risquent de tout perdre, à ne pas
céder », souligne-t-il.
Une perspective que soutient également Renaud, gilet jaune lyonnais,
présent comme quelques dizaines d’autres manifestants aux chasubles fluo dans
le cortège intersyndical hier. « Les gilets jaunes ont apporté une énergie au
mouvement social, il ne faut pas la perdre ! Mais, pour cela, il faut qu’aux
manifestations du samedi s’ajoutent des grèves reconductibles dans les
entreprises », insiste-t-il, estimant qu’« un seul jour de grève ne suffirait
pas : il en faudrait au moins quinze ».
Si Nadjet et Noura, militantes CGT dans la métallurgie du Rhône, jugent que
le salut ne passera que par « un mouvement de grève qui tape au portefeuille »,
elles disent avoir « du mal » à faire bouger leurs collègues. Pourtant, les
raisons d’être en colère abondent. « Dans la plupart des entreprises de la
métallurgie, les augmentations de salaire accordées en négociations annuelles
obligatoires (NAO) ne sont même pas au niveau de l’inflation », déplore Nadjet,
salariée chez un sous-traitant automobile. Et ce ne sont pas les miettes
lâchées par l’exécutif en décembre qui ont été de nature à calmer les esprits.
« En général, les entreprises lâchent la prime gilets jaunes juste avant les
NAO pour minimiser les augmentations de salaire », analyse Nadjet.
« Le grand débat, ça a été une grande fumisterie ! » dénonce pour sa part
Noura. Les deux femmes s’indignent que des thèmes aient été « décrétés tabous
dès le début ». Les dernières annonces du premier ministre, Édouard Philippe,
consistant à durcir encore l’arsenal répressif des forces de police inquiètent.
« La liberté de manifestation est remise en cause sous couvert de lutter contre
les casseurs », dénonce Noura. « C’est flippant, on se sent en danger quand on
manifeste, mais on ne peut pas rester chez nous. On ne peut pas arrêter comme
ça », affirme Renaud, gilet jaune.
Kareen Janselme (à Paris) et Loan Nguyen
(à Lyon)
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