JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LES DROITS DES FEMMES. « NOTRE QUOTIDIEN EST UNE GUERRE SOCIALE »
Pour la première fois,
des femmes gilets jaunes, ultra-précaires, manifesteront vendredi et samedi
dans plusieurs villes de France pour porter haut et fort leurs revendications
féministes.
Elles étaient les oubliées, elles deviennent les visages des luttes
sociales. Aujourd’hui et demain, des femmes gilets jaunes, avec des
organisations féministes et la CGT, vont arpenter les rues au rythme de
« Femmes précaires, femmes en guerre ! »
Elles se réunissent en assemblée générale tous les lundis à la bourse du
travail de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Une cinquantaine de personnes ont
afflué lundi depuis Paris et sa banlieue.
Oriane, la trentaine, chouchou rose dans les cheveux et bière à la main,
est la co-créatrice de la page Facebook « Femmes gilets jaunes » : « Parce que
nous sommes les plus exploitées et précarisées par ce système capitaliste
violent, parce que nous sommes discriminées et subissons le sexisme, nous
serons en première ligne à cette manifestation ! » lance-t-elle. Bénéficiaire
du revenu de solidarité active (RSA) depuis la fermeture de sa
micro-entreprise, elle est aussi bénévole à l’Armée du salut.
« Le système nous met
dans la précarité depuis l’enfance »
Dans la salle Louise-Michel, chacun a son identité et son expérience. On
retrouve ici Engracia, en première ligne de la grève victorieuse des femmes de
chambre de l’hôtel Park Hyatt Vendôme, mais aussi Céline Verzeletti, secrétaire
confédérale chargée de l’égalité femmes-hommes à la CGT, des professeures, une
ex-sans-papiers, des étudiantes, deux hommes, des syndicalistes SUD, militantes
NPA et France insoumise. « Mais nous ne sommes pas un parti politique, nous
sommes une classe sociale », insiste Oriane, non encartée.
Qu’elles travaillent dans le nettoyage, dans les hôpitaux, dans le privé,
toutes portent la voix des femmes isolées, souvent issues de l’immigration.
Leila, une ancienne commerçante : « Le système nous met dans la précarité
depuis l’enfance. Macron ose en plus nous traiter d’illettrées ! Quand il parle
ainsi, c’est une façon de viser nos sœurs, nos mères, nous toutes ! » « Les
retraitées, les mères au foyer célibataires sont depuis longtemps
invisibilisées par les médias et la société, dénonce une autre femme gilet
jaune. Notre quotidien est une guerre sociale, à nous de reprendre nos
droits ! » Ces femmes précaires, aux faibles revenus, s’inquiètent des
disparitions des maternités et de la réforme du chômage : « Ils tapent sur
n’importe quoi ! Regardez la santé, les hausses des contrôles à Pôle emploi !
Mais rien n’est fait pour limiter les contrats précaires imposés aux femmes. »
Contre l’ordre néolibéral, elles se battent pour un meilleur accès au
logement, aux soins, aux prestations sociales et pour la création d’un service
public de la petite enfance. Des droits exclus ou rognés par le gouvernement en
raison de contraintes budgétaires. Contrairement à leurs homologues masculins,
elles n’évoquent pas le rétablissement de l’impôt sur la fortune et le
référendum d’initiative populaire. « À la télévision, on ne voyait que des
hommes s’exprimer pour parler du gasoil. On s’est dit que la parole des femmes
n’était absolument pas représentée », explique Chérifa, keffieh autour du cou,
bénévole à l’Armée du salut. Depuis presque trois ans, elle vit dans un neuf
mètres carrés au Palais de la femme, un établissement parisien dédié aux
personnes en grande difficulté. « Je n’ai jamais touché d’allocations
familiales, les pensions n’ont jamais été versées, j’ai payé seule les études
de ma fille. Tenir avec un salaire de misère, à Paris, c’est dur », résume
cette mère de trois enfants. Dans la salle, on croise aussi Torya Akroum, 37
ans, qui a fui son domicile, ses petits sous le bras, après des violences
conjugales. Cette cheminote se sent aujourd’hui privilégiée grâce à son emploi.
« Mais je travaille la nuit et les week-ends pour un meilleur salaire et mieux
élever mes enfants », raconte cette mère isolée de trois enfants et ancienne
gréviste à la SNCF. Gilet jaune de la première heure, elle dénonce la baisse
des aides personnalisées au logement (APL). Elle a perdu au change : « Je touchais
75 euros, contre 19 euros aujourd’hui. Avec cette somme, j’aurais pu remplir un
chariot Lidl. »
« Dans la réussite des
hommes, coulent les larmes des femmes »
Lise, 26 ans, fabrique sa pancarte pour la manifestation : « Dans la
réussite des hommes, coulent les larmes des femmes. » Ancienne pâtissière, elle
a mal vécu son expérience dans la restauration et a fini par démissionner :
« C’était l’horreur, des collègues m’ont harcelée sexuellement. Et les patrons
nous exploitent bien plus qu’ils n’exploitent les hommes, avec des heures
supplémentaires non payées. »
Ces discours tranchent avec les manifestations des femmes gilets jaunes de
janvier. L’appel sur Facebook précisait : « Nous voulons montrer que nous
sommes la Mère Patrie, en colère, et que nous avons peur pour l’avenir de nos
enfants ! » Et aussi : « Nous restons complémentaires et solidaires des
hommes, ce n’est pas une lutte féministe mais féminine. » Oriane et ses
camarades s’opposent à cette image réductrice du rôle des femmes. Elles
rejettent un féminisme institutionnel, incarné aujourd’hui par Marlène
Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité femmes-hommes. « Les
féministes, celles qui luttent tous les jours pour les droits de toutes les
femmes, c’est nous, pas Schiappa ! » disent-elles.
Quelles suites pour leur mouvement ? Certaines évoquent des pistes :
« Pourquoi ne pas créer un acte gilet jaune sur le chômage ? N’attendons pas
que les hommes le fassent, les femmes sont plus touchées par les contrats
précaires et les temps partiels », propose l’une d’entre elles sous les
applaudissements. Les idées fusent dans la salle, comme si le mouvement social
en était encore à ses débuts. Leila prend l’initiative d’écrire une lettre
ouverte au président de la République, quand Chérifa souhaite soutenir les
femmes jetées à la rue dès la fin de la trêve hivernale. Michelle, à la
retraite, propose d’investir les lieux de pouvoir.
Elles n’entendent pas
abandonner le monopole du récit aux hommes
Très vite, elles décident de multiplier les actions en semaine. Et
reçoivent le soutien de la CGT : « C’est bien de se mobiliser en semaine, avec
les organisations syndicales. Grâce aux femmes, on arrivera à faire des actions
massives », estime Céline Verzeletti, du bureau confédéral du syndicat. Des
commissions « revendications » et « actions » fleurissent, et une nouvelle
assemblée générale se tiendra dès mardi prochain.
La mobilisation des gilets jaunes, c’est aussi elles. Et elles n’entendent
pas abandonner le monopole du récit aux hommes. « Les revendications des femmes
ne passent pas assez dans le mouvement, alors qu’elles devraient l’irriguer,
estime une militante. Il faut les inclure dans la lutte générale. » Où va mener
ce nouveau mouvement féministe tourné vers les mobilisations sociales ? Il est
tôt pour le dire.
Une chose est sûre, ces gilets jaunes d’un nouveau genre peuvent créer un
élan de conscience et tisser des réseaux déterminés à renverser les formes de
domination. Leila, étudiante, estime : « Une révolution sans les femmes, c’est
une révolution contre les femmes. »
Lola Ruscio
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