« REPENSER LE TRAVAIL », L’EDITORIAL DE MAURICE ULRICH DANS L’HUMANITE DE DEMAIN JEUDI
Le numérique est au carrefour des mythes et des mystifications. D’un côté
la technologie semble porteuse de nouveaux rapports au travail libérés du
salariat et d’une nouvelle définition des travailleurs. Dans des termes que ne
renieraient pas Emmanuel Macron et d’autres, ils seraient des entrepreneurs
d’eux-mêmes, de libres artisans de leurs succès ou de leurs échecs. La
mystification, c’est que l’économie développée par les nouvelles technologies
substitue à l’exploitation du travail salarié la dépendance du travailleur
indépendant.
Leur nombre est en augmentation constante. Les entreprises elles-mêmes,
dans tous les secteurs, y compris hors du numérique, ont de plus en plus
recours à des formes de travail externalisé. Les raisons en sont évidentes. Pas
de responsabilités, pas de cotisations sociales, pas d’horaires :
l’exploitation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !
Que demander de plus. S’il est des cas où les travailleurs en question sont
en quelque sorte contraints à l’indépendance, la machine fonctionne aussi à
l’idéologie. L’un des grands syndicats européens qui ont décidé de prendre la
question à bras-le-corps le souligne. En particulier chez les plus jeunes, l’illusion
de liberté est plus forte que le sentiment de soumission à la plateforme
numérique ou à l’entreprise donneuse d’ordres baptisés services. Les
cotisations sociales leur paraissent une charge déconnectée des solidarités
collectives.
Dans le même temps, on ne saurait réduire cette tendance lourde à une
simple arnaque. On ne peut penser ce désir d’indépendance et de liberté, même
dévoyé, sans penser en même temps le salariat lui-même, qui voit le travailleur
dépossédé dans l’entreprise de son libre arbitre et du produit même de son
travail. C’est dire que ce n’est pas seulement les nouvelles formes de travail
qu’il faut questionner, en saluant l’engagement totalement nouveau des grands
syndicats évoqués ici sur ces chantiers. Tout le travail est à repenser.
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