MA SANTÉ 2022. UNE RÉFORME QUI FAIT LA PART BELLE AU PRIVÉ
Les députés entament
ce lundi l’examen du projet de loi réformant l’organisation du système de
santé. Un texte bien loin de répondre aux besoins et aux urgences.
Le projet de loi santé est débattu ce matin à l’Assemblée nationale. Enfin,
partiellement, puisque le texte qui promet la transformation en profondeur des
études de médecine et de l’organisation du système de santé est truffé
d’ordonnances. Ainsi, le gouvernement a décidé de se passer de l’avis des
parlementaires pour six articles d’une loi qui n’en comporte que vingt-trois.
Elles portent sur des sujets « sensibles », tels la carte des futurs hôpitaux
de proximité, la réforme de l’attribution des autorisations d’activités pour
des hôpitaux ou le renforcement des missions des agences régionales de santé
(ARS). Du coup, les députés comme la plupart des acteurs de santé ont
l’impression d’avancer dans le brouillard.
« Il faut que le projet de loi soit clair pour que les décrets qui vont en
découler et les ordonnances soient aussi limpides », s’inquiétait lors d’un
grand débat, fin janvier, Patrick Bouet, le président de l’ordre des médecins,
pourtant franc partisan de la réforme mais irrité comme bien d’autres de l’inflation
d’ordonnances. Le nombre d’amendements augmente également : 1 600 propositions
de modification du projet de loi ont été demandées par les députés. Le
gouvernement lui-même en a ajouté une dizaine à son propre texte lundi dernier,
juste avant son examen par la commission des Affaires sociales.
Sur bien des points, dont l’accès aux soins et le maintien des services
publics de proximité, et face à la grande souffrance des soignants, le
gouvernement sait qu’il est attendu au tournant.
1 Une réforme de la
formation des médecins
La fin des déserts médicaux passera-t-elle par la réforme des études de
médecine et la suppression du numerus clausus ? La refonte de la formation des
futurs médecins ouvre en tout cas le projet de loi. Et justifie la précipitation
du gouvernement à proposer une réforme dont il souhaite qu’elle entre en
vigueur dès la rentrée 2019-2020. La suppression du numerus clausus, qui,
depuis 1970, limite le nombre d’étudiants (moins de 9 000 sont formés par an),
est ainsi confirmée. De même que la fin des épreuves nationales classantes
(ENC), qui déterminent l’orientation des futurs étudiants vers une spécialité
en fonction de leur lieu de stage. 27 % seulement des étudiants réussissent à
devenir médecin.
Si ces deux mesures reçoivent l’assentiment général, leurs conséquences sur
les déserts médicaux suscitent de sérieux doutes, y compris parmi les députés
LaREM, tel Gaël Le Bohec, élu de Bretagne, pour qui « jamais le numerus clausus
n’a permis de réguler les professions médicales et leur installation sur le
territoire et cela ne changera pas avec un numerus clausus décentralisé et
augmenté », expliquait-il mardi devant la commission des Affaires sociales. Le
projet du gouvernement donnera désormais quitus aux universités pour décider du
nombre d’étudiants formés, en fonction de leurs capacités d’accueil, et après
avis conforme des agences régionales de santé chargées de veiller aux besoins
des territoires. Face aux députés, la ministre des Solidarités et de la Santé a
démenti l’objectif de 20 % d’étudiants en plus. « Il y a une question
budgétaire puisque c’est l’État qui paye les professeurs des universités et
finance les stages via l’ARS », a précisé Agnès Buzyn.
2 Toujours plus de
porosité public-privé
De la formation à l’exercice de la médecine en passant par les soignants du
médico-social, le gouvernement veut gommer les frontières entre professionnels
et établissements, entre les secteurs public et privé. Décloisonnement, c’est
le mot clé du projet de loi. En matière de formation, toutes les barrières
tombent. Les voies d’accès aux études sont « diversifiées » même si la
formation restera « sélective ». De même que les lieux de stage, qui ne seront
plus cantonnés aux seuls CHU et centres hospitaliers. Les établissements du
secteur privé, les maisons de santé, le secteur ambulatoire pourront accueillir
des internes.
Il faudra néanmoins attendre de nombreux décrets d’application pour que la
mesure voie le jour. Les médecins en titre pourront, eux, avoir une activité
mixte : privé et public. Le projet met fin à plusieurs statuts pouvant entraver
la « fluidité », dont celui, emblématique, de praticien hospitalier rayé des
cadres par ordonnance. Cette même logique s’appliquera aux 1 000 communautés
professionnelles territoriales de santé (CPTS), bras armé, via les médecins
généralistes libéraux et le secteur médico-social notamment, de
l’hospitalisation à domicile et des soins ambulatoires.
3 De la proximité,
mais sans chirurgie ni maternité
Avec la réforme de la formation des médecins et la création des communautés
professionnelles territoriales de santé, les nouveaux hôpitaux de proximité
sont l’autre mesure phare du projet de loi. Celle qui inquiète le plus. Et pour
cause. Ces 500 à 600 nouvelles structures annoncées par Emmanuel Macron, le 18
septembre dernier, lors de sa présentation du plan Ma santé 2022, constituent
l’échelon de proximité de l’organisation du système hospitalier voulu par le
gouvernement aux côtés des hôpitaux « spécialisés » et d’autres « hyper
spécialisés ». « Dans une logique de filiales avec ses satellites
spécialisés », estimait dans nos colonnes l’économiste de la santé Philippe
Batifoulier (l’Humanité du 13 février 2019).
Dans un amendement de dernière minute, le gouvernement a précisé les
missions de ces établissements, y excluant les activités de chirurgie et de
maternité. Au bénéfice de la médecine de ville. Les organisations
professionnelles de médecins libéraux se voient rassurées, elles qui
craignaient que les hôpitaux prennent une place prépondérante dans la médecine
de proximité. « La labellisation des hôpitaux de proximité laisse entrevoir de
nombreuses restructurations hospitalières par la fermeture de services de chirurgie
et de maternité dans nos territoires », s’est inquiété le député PCF Pierre
Dharréville, dont le groupe parlementaire a demandé l’annulation de l’article
de loi qui prévoit l’adoption par ordonnance de la future carte de
l’hospitalisation après avoir demandé un moratoire sur les fermetures de
services et de maternités. Le gouvernement a également décidé de recourir à une
ordonnance pour réformer le régime des autorisations d’activités des hôpitaux,
pourtant essentiel pour le maillage des établissements sur le territoire.
Sylvie Ducatteau
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