« FINANCES ». ET SI LA FRANCE S’OFFRAIT DE BONNES TRANCHES D’IMPÔT SUR LE REVENU ? (CLOTILDE MATHIEU)
Le grand débat tient
sa conférence nationale sur la fiscalité et les dépenses publiques ce mercredi.
Alors que les gilets jaunes demandent plus de justice fiscale, la majorité
balaie les propositions visant à rendre l’impôt direct plus progressif.
C’est l’une des pistes évoquées pour apaiser la colère des gilets jaunes.
L’ajout d’une ou plusieurs tranches à l’impôt sur le revenu (IR). Le candidat
PCF aux élections européennes, Ian Brossat, ainsi que les députés communistes
dépositaires d’une proposition de loi la semaine dernière proposent de « taxer
davantage ceux qui gagnent beaucoup » et de « créer quatre tranches
supplémentaires ». Pour la France insoumise, il en faudrait 9. L’idée
habituellement appuyée par la gauche séduit désormais jusque dans les rangs de
la majorité. « Il faut revoir l’impôt sur le revenu et peut-être aller au-delà
de la tranche maximale, qui est à 45 %. Je trouve, et c’est un sentiment
personnel, que c’est une réponse possible », a déclaré Emmanuelle Wargon, la
secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire,
co-animatrice du grand débat national. L’impôt sur le revenu, réputé le plus
progressif et redistributif, est aujourd’hui appelé en renfort pour réconcilier
les Français avec les prélèvements obligatoires et faire oublier l’abandon de
l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Peut-être sera-t-il évoqué ce
mercredi, lors des conférences sur la fiscalité et les dépenses publiques à
Bercy et sur l’organisation de l’État et des services publics au ministère de
la Cohésion des territoires.
Une nouvelle tranche
d’imposition de revenu à par exemple 80 %
Réintroduire de la progressivité constituerait un virage à 180 degrés
dans les politiques publiques des dernières années. De 14 tranches, avec des
taux allant de 0 % à 65 % au début des années 1980, il n’en compte plus
aujourd’hui que 5 pouvant aller jusqu’à un taux marginal de 45 % pour la
tranche la plus élevée. Pour mieux comprendre ce que signifierait le
renforcement de la progressivité, il est nécessaire de revenir sur
l’arithmétique de l’impôt sur le revenu. Prenons le cas d’une personne
célibataire sans enfant à charge dont le revenu annuel confortable s’établirait
à 350 000 euros (après déduction des 10 % ou des frais réels).
Dans le système
actuel faiblement progressif (voir notre infographie), cette personne sera donc
imposée à 0 % pour ses 9 964 premiers euros de revenu. Pour les quatre tranches
suivantes, ses revenus seront taxés successivement à un taux de 14 %, puis à 30
%, 41 % et 45 %. Soit un total de 137 336,55 euros d’impôt dû, correspondant à
39,23 % de ses revenus. Or, rien qu’en créant une nouvelle tranche pour les
revenus de plus de 270 000 euros à 65 %, ce même contribuable devrait alors
acquitter 153 336,55 euros d’impôt, soit 56,79 % de ses revenus. Une autre
solution consisterait à faire grimper le taux de la nouvelle tranche d’imposition
de revenu à par exemple 80 %. Ce qui reviendrait à un prélèvement de 205 151,15
euros. Soit un prélèvement de 58,61 % de ses revenus.
Pour renforcer la progressivité, l’ajout de tranches vaut d’ailleurs autant
au sommet de l’impôt sur le revenu qu’à sa base. C’était la vocation de la
proposition de loi des députés communistes, présentée la semaine dernière et
rejetée par la majorité.
Une multitude de
dispositifs au profit des plus riches
Cette proposition créait une tranche supplémentaire pour les revenus
compris entre 27 086 et 72 617 euros, en la divisant en deux et en appliquant
un taux de 22 % pour la fraction de 27 519 à 46 223 euros et un taux de 30 %
pour la fraction de 46 223 à 73 779 euros. Ainsi une personne gagnant 2 500
euros par mois aurait payé un impôt de 545,82 euros, contre 750 euros
aujourd’hui. Et celle touchant 4 000 euros mensuels aurait dû s’acquitter de
4 647,98 euros, contre 6 144,30 actuellement.
Du moins en théorie. Car une multitude de dispositifs dérogatoires au
profit des plus riches ont, au fil des réformes, contrarié la progressivité de
l’IR, allant même jusqu’à le rendre dégressif pour les 4000 ménages les plus
aisés. De telle sorte qu’ils ne contribuent que pour 29 % à la réduction des
inégalités, selon les dernières données de l’Insee datant de 2015. La faute aux
474 niches fiscales qui pullulent aujourd’hui en France. Certaines, comme le
crédit d’impôt recherche, le crédit d’impôt compétitivité emploi, concernent
les entreprises.
Leur coût total s’élève, selon Bercy, à près de 100 milliards
d’euros. Côté ménages, elles totalisent plus de 14 milliards d’euros par an en
ce qui concerne l’impôt sur le revenu. Or, reconnaît Gérald Darmanin, le
ministre des Comptes publics, « les 9 % des contribuables les plus riches » en
captent « 7 milliards d’euros ». À cela s’ajoute la flat tax, mise en place par
Emmanuel Macron, au 1er janvier 2018, et qui plafonne l’ensemble des revenus
financiers, principale rémunération des plus aisés, à un taux de prélèvement
unique.
De telle sorte que les recettes de l’impôt sur le revenu en France
représentent la plus petite part du PIB, par rapport aux autres pays de l’Union
européenne, 3,3 % en 2017, contre plus de 9 % au Royaume-Uni et plus de 10 % en
Allemagne. « Cela tient pour partie au faible nombre de ceux qui le paient, 47
%, mais aussi aux niches fiscales dont profitent les plus aisés »,
reconnaissait Darmanin. Or cette remise à plat des niches fiscales semble du
côté de l’exécutif bel et bien compromise. Mi-février, le ministre de l’Économie,
Bruno Le Maire, s’y est déclaré publiquement « totalement opposé ».
La TVA rapporte deux
fois plus que l’impôt sur le revenu
Mais la justice fiscale passe également par la baisse de la taxation
indirecte. Chouchoutée par les gouvernements successifs pour compenser les
pertes de revenu de l’État, elle est devenue le premier poste de recettes de
l’État. En 2018, sur près de 287 milliards d’euros de recettes, 154 le sont au
titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), 13,6 milliards au titre de la
taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, ex-TIPP),
l’impôt sur le revenu (IR) participant seulement à hauteur de 72 milliards et
l’impôt sur les sociétés à hauteur de 25 milliards. De telle sorte que la TVA
(53,6 % des recettes budgétaires) rapporte deux fois plus que l’IR (25 %). Or,
avec un taux identique quel que soit le montant des revenus perçus, l’effort
fourni par le contribuable est le même, du chômeur au rentier. Il est même plus
important pour les classes populaires, qui, n’ayant pas la possibilité
d’épargner, consomment souvent l’intégralité de leurs revenus ainsi soumis dans
leur totalité à la TVA. À cela s’ajoute la contribution sociale généralisée
(CSG) assise sur les revenus, premier prélèvement payé par tous.
C’est pourquoi
la proposition d’un impôt universel payé par tous pour renforcer le lien entre
les citoyens, défendue par la ministre de la Cohésion des territoires,
Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, qui propose de
faire contribuer à l’impôt sur le revenu les contribuables qui en sont
actuellement exonérés, ne peut avoir de sens que dans le cadre d’une réforme
globale des prélèvements obligatoires. Un big bang fiscal qu’aucun membre de la
majorité n’a évoqué. Or, plutôt que de pointer du doigt les plus pauvres, le
gouvernement serait plus inspiré de chercher à récupérer les 80 milliards
d’euros de fraude fiscale qui manquent chaque année au budget de l’État.
D’autant que « ce siphonnage profite massivement aux plus riches et aux plus
puissants sous le regard complice du gouvernement », dénonce la CGT.
Clotilde Mathieu
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