LE BLOG DES COMMUNISTES DE ROMAINVILLE

lundi 25 février 2019

« ROLAND LEROY OU L’ÉLÉGANCE DE L’ENGAGEMENT » (PATRICK APEL-MULLER)



L’ancien directeur de l’Humanité de 1974 à 1994, député de Seine-Maritime et dirigeant national du PCF, est mort dimanche, à 92 ans. Récit d’une vie.
Une sorte de légende s’était édifiée autour de lui. Un personnage de roman, disait-on. Son agilité d’esprit, sa culture, sa rigueur, sa vie brûlée par tous les bouts jusqu’aux nuits, une allure de dandy… quelque chose d’un héros de Roger Vailland. Roland Leroy, qui fut l’un des principaux dirigeants du Parti communiste et durant vingt ans directeur de l’Humanité, est mort dimanche soir, dans sa maison de Clermont-l’Hérault, entouré de ses proches et de sa femme Danièle. Il aurait eu 93 ans au mois de mai.
Une banlieue ouvrière normande
De ses mille facettes, on ne comprendrait rien sans revenir à l’origine, dans cette boucle de la Seine, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, en face de Rouen, où il est né d’une mère ouvrière du textile et d’un père cheminot. Normand à tous crins, donc, ne tolérant aucune critique sur Jeanne d’Arc – une tentative me valut un « couillon, va ! » – pour laquelle il avait organisé des commémorations et sur qui il avait projeté d’écrire un livre, passionné des abbayes de la région et de Jumièges en premier lieu, invoquant Maupassant pour exalter les Vikings. Un cycliste ? C’est son ami Anquetil ! Un peintre ? C’est Géricault ! Une cuisine ? C’est au beurre et à la crème ! C’est là aussi le terreau de son engagement. Roland Leroy rappelait son père qui votait communiste « parce qu’il faut toujours voter pour le plus rouge » et imprégné d’anarcho-syndicalisme puissant dans la région, et notamment sur le port du Havre. Mais aussi un oncle, Édouard Charles, dont une rue d’Elbeuf porte le nom, secrétaire de l’union locale CGT sous le Front populaire, puis résistant, mort en déportation à Sachsenhausen.
À 17 ans, il bascule dans la clandestinité
Son éveil politique se fait au long des marches de la faim des chômeurs, des revendications d’allocation, des rencontres avec des enfants de républicains espagnols réfugiés à Elbeuf, des licenciements de syndicalistes, de l’arrogance des patrons drapiers et de l’espoir du Front populaire. De quoi forger une conscience de classe. La guerre survient, puis l’occupation nazie, ce « temps des monts enragés et des amitiés interdites », disait René Char. Le jeune Roland Leroy s’engage très tôt dans la Résistance. Sa première tâche : distribuer les numéros clandestins de l’Humanité… Puis, il va saboter quotidiennement des trains de marchandises, les envoyant plutôt au sud qu’au nord pour empêcher le ravitaillement des troupes allemandes. Il a à peine 17 ans quand il bascule dans la clandestinité. Adieu le travail à la SNCF, bonjour l’organisation en triangle qui sécurise les groupes de la jeunesse communiste. Logé de planque en planque, changeant de nom (Bob, Réli, Paillard, Dumas Alain…), organisant des imprimeries clandestines, des coups de main, des attentats… il devient responsable adjoint des JC d’une grande région du nord-ouest de la France. À la Libération, il est de ceux qui prennent d’assaut la PlatzKommandantur de Rouen. Longtemps, Roland Leroy resta discret sur son parcours dans la guerre de l’ombre. Ces dernières années, il racontait plus volontiers les drames, les camarades perdus, les fraternités à jamais nouées. Les erreurs aussi. Tout jeune responsable départemental du PCF, il œuvra à la réhabilitation d’un responsable communiste, abattu comme traître. À tort.
À la Libération, le jeune homme – décrit par ses supérieurs comme « dynamique », « organisateur », « intéressant » – travaille deux ans à la SNCF. Repéré par Jacques Duclos, qui avait dirigé dans la Résistance communiste, il devient très vite responsable départemental du PCF en Seine-Maritime. Il y déploie une intense activité, notamment auprès des ouvriers et des dockers. Un fait d’armes marque son parcours, l’occupation de la caserne Richepanse à Rouen, le 7 octobre 1955, par 600 rappelés qui refusaient de partir en Algérie. Roland Leroy relate ce fait d’armes qu’il organisa : « Au moment où les soldats furent appelés à monter dans les camions pour le départ, ils restèrent d’abord dans leur chambre, puis, rassemblés, deux sous-officiers réservistes sortirent des rangs et annoncèrent leur refus de départ. » Au même moment, les travailleurs des entreprises proches de la caserne se rassemblèrent autour de la caserne, à l’appel des militants du PCF, et manifestèrent activement leur soutien. Hissé sur les épaules d’un militant communiste, Roland Leroy prit la parole au mur de la caserne, s’adressant à la fois aux travailleurs et aux soldats. À la nuit tombée, les forces de police chargèrent brutalement, jusque dans une fête foraine proche. Les soldats furent embarqués dans des camions vers 4 heures du matin. Une vingtaine d’arrestations furent suivies de procès d’urgence et de condamnations. Plusieurs soldats furent emprisonnés, l’Humanité du lendemain fut saisie dans tout le département. Le gouvernement engagea des poursuites « pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Mais, le lendemain après-midi, un puissant meeting eut lieu, organisé par le Parti communiste et la CGT. Le refus de la guerre d’Algérie s’affichait avec éclat. L’historienne Madeleine Rebérioux, qui quitta le PCF, dira plus tard : « Je pardonne tout à Roland Leroy, pour l’affaire de la caserne Richepanse. »
La culture en liberté
Appelé à des responsabilités nationales, il en est un temps écarté, puis rappelé au secrétariat du Comité central par Maurice Thorez. Élu député en 1956, il s’affirme vite aux premiers rangs de la direction communiste, en même temps qu’un certain Georges Marchais. Mais c’est en 1967 que Roland Leroy accède à la responsabilité des intellectuels et de la culture, à laquelle il confère un formidable rayonnement. Est-ce auprès de son père qui, bénéficiant de la gratuité des transports pour lui et sa famille, l’emmenait, enfant, visiter les musées à Paris, qu’il acquit son formidable appétit pour l’art et la création ? Ami d’Aragon et d’Elsa Triolet, de Picasso et de Pignon, il noue des relations de coopération et de travail avec René Char, Jean Vilar, Marcel Maréchal, Roger Planchon, Léo Ferré, Juliette Gréco, Michel Piccoli, Kijno, Féraud, Marina Vlady, Philippe Sollers, Stellio Lorenzi, Marcel Bluwal, Jean-Pierre Faye… Et Jean Ferrat, avec il passe ses réveillons à Antraigues. « Un frère », dira-t-il.
Avec son équipe, précise-t-il, « nous soutenions qu’un créateur ou un chercheur est présent dans la vie sociale autrement que par son activité politique, il l’est d’abord et principalement par sa création et son travail ». La rupture est totale avec le réalisme socialiste : « Il ne peut y avoir d’art, de littérature ou de science de parti, pas plus que d’intellectuels officiels du parti. » On est loin de la conception soviétique d’alors. Ces conceptions deviennent celles du parti, à l’occasion d’un Comité central du PCF à Argenteuil. À sa suite, des municipalités communistes, de grands comités d’entreprise engagent des politiques culturelles audacieuses
Le choc de l’année 68
Mai 68 s’éteint en juin. Mais la secousse vient en août. Roland Leroy part en vacances en Tchécoslovaquie, dans les Tatras. À l’arrivée, il rencontre longuement Alexandre Dubcek. Mais le 21 août, alors qu’il revient d’une recherche de champignons dans la montagne, des vrombissements d’avions rompent le calme. L’armée soviétique et les troupes du pacte de Varsovie occupent le pays. Il tient un carnet de notes du drame (1), refuse de prendre contact avec les envahisseurs et rejoint l’ambassade de France. Une fin des illusions. Le PCF condamne mais n’en tire pas encore toutes les conséquences. Reste la blessure.
Cette année-là, le secrétaire général du parti, Waldeck Rochet, porte son choix sur Georges Marchais pour lui succéder – ce sera chose faite en 1972 – et pour réaliser l’Union de la gauche. Il le préfère à Roland Leroy, plus réservé vis-à-vis des socialistes. Ce dernier joue un rôle important, notamment lors des négociations du Programme commun. Mais les deux hommes ne s’apprécient guère. Roland Leroy devient, en 1974, directeur de l’Humanité. Il y fait merveille. Son charme draine autour du journal des intellectuels, il donne à la Fête de l’Humanité un nouvel élan – citons l’étonnant défilé d’Yves Saint Laurent sur la Grande Scène – et multiplie les entretiens de prestige : Castro, Tito, Boumediene, Gorbatchev… Il écrit sur Malraux comme sur Éluard. « Mon activité la plus enrichissante », dira-t-il plus tard. Il pilote le journal en mariant un charme dont il sait habilement jouer et une autorité que personne ne discute. L’homme public, le débatteur des plateaux télévisés, noue de solides amitiés, même avec des adversaires comme Jean d’Ormesson, qui écrivait qu’ils jouaient « la perpétuelle comédie du guillotineur et du guillotiné ».
En mars 1994, Roland Leroy part en retraite – en fanfare, entouré par des responsables politiques, des créateurs et les équipes de l’Humanité –, quitte Paris et la Normandie pour l’Hérault, avec Danièle, sa femme. Une vie plus douce, avec de solides amitiés, mais toujours la passion de la politique et de l’information. Avec toujours un brin de distance élégante.
(1) Publié en 1995 dans la Quête du bonheur, chez Grasset.






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