LE BLOG DES COMMUNISTES DE ROMAINVILLE

samedi 3 novembre 2012



Rythmes scolaires : vrai débat ou écran de fumée  ?

Présenté comme une priorité par Vincent Peillon, l’aménagement du « temps ­scolaire » est devenu le centre de gravité de toute réflexion sur l’école. Un débat survalorisé qui, pour beaucoup de spécialistes, ne répondra pas aux causes profondes des difficultés des élèves.
Posez-lui la question et Maud, enseignante dans une école de Stains, en Seine-Saint-Denis, vous répondra du tac au tac. « La réforme des rythmes scolaires ? Franchement, je ne comprends pas qu’on s’acharne là-dessus. Pour moi, ce n’est vraiment pas la priorité. » Opinion iconoclaste ? Pas du tout. À ses côtés, Dominique, prof dans ce même établissement de quartier populaire, pense exactement la même chose. Et assure même ne pas ressentir « de difficultés particulières chez les élèves pour tenir les six heures de classe ». L’air lassé, la jeune femme finit par ajouter : « La priorité, si l’on veut lutter contre l’échec scolaire, ce devrait être surtout de s’assurer qu’il y ait déjà bien un enseignant dans chaque classe, ce qui est loin d’être le cas dans notre département… »
Étonnant. Alors que le débat sur le « temps scolaire » est devenu depuis deux ans le centre de gravité de toute réflexion sur l’école, deux profs interrogées au hasard peinent à en voir la pertinence. Elles ne sont pas les seules. Et leur réaction, largement partagée, illustre bien les sérieux doutes qui montent autour de cette réforme annoncée. Certes, elle passionne la plupart des médias, bien des parents et le secteur touristique. Mais elle inquiète aussi pas mal de spécialistes du monde éducatif, agacés de voir la question plus générale de l’échec scolaire réduite à cette simple dimension du temps scolaire. « On a l’impression que c’est un écran de fumée pour ne pas aborder des questions plus sensibles et fondamentales », résume encore Dominique.
Une course contre la montre
Évidemment, les chiffres répétés à longueur de rapports ne peuvent nous laisser indifférents. Comparée à ses voisins européens, la France possède, en primaire, le plus petit nombre de jours de classe par an (140) et l’un des plus grands nombres d’heures de cours (817). Moins que l’Espagne (875) ou l’Italie (891), mais bien plus que l’Angleterre (798), l’Allemagne (564) ou encore la Finlande (569), présentée souvent comme un modèle en matière d’éducation. Nos journées d’école sont donc peu nombreuses et extrêmement denses. Une caractéristique aggravée par l’instauration de la semaine de quatre jours, en 2008, et de trente ­minutes quotidiennes d’aide personnalisée, souvent glissées à l’heure du repas ou en fin d’après-midi. Résultat ? Une course contre la montre qui nuit en priorité aux élèves en difficulté.
« C’est sûr, il y a nécessité à desserrer le rythme de la semaine, convient Cédric Turco, secrétaire général adjoint du Snuipp-FSU dans le Var. Mais ce n’est pas ça, non plus, qui va permettre à tous les enfants de réussir. Les effectifs de nos maternelles tournent autour de trente élèves, la scolarisation des enfants de moins de trois ans a fait un bond de vingt ans en arrière, les réseaux d’aide aux enfants en difficulté ont été décimés, 182 collègues ne sont pas remplacés chaque jour dans le département… C’est ça, surtout, qui freine la réussite scolaire et qui nécessiterait de gros moyens humains. Or, pour l’instant, on ne les voit pas venir. »
C’est bien le problème. Depuis des mois, Vincent Peillon, dénonçant la réforme de ses prédécesseurs qui « maltraite » les enfants, a choisi de faire des rythmes scolaires l’un des axes principaux de sa refondation. Laissant penser que si les écoliers français s’ennuient et se désintéressent, c’est qu’ils croulent sous des heures de classe inadaptées à leurs rythmes biologiques. Alléger les journées et s’assurer du « bien-être physique » de l’enfant, ce serait donc la bonne solution pour « lutter contre les inégalités et l’échec scolaire ». Seulement voilà. Jusqu’ici, rien ne vient étayer cette fausse évidence. Aucune étude ne démontre l’influence directe des rythmes scolaires sur les résultats des élèves. Les travaux de Jean-Yves Rochex, professeur en sciences de l’éducation à Paris-VIII, ­incitent même à penser le contraire. Les enfants qui réussissent le mieux viennent non seulement de milieux socioculturels favorisés mais ont surtout des emplois du temps bien chargés avec de nombreuses activités artistiques et culturelles en dehors – et en plus – de l’école. En revanche, les enfants qui échouent sont, en général, ceux qui en ont le moins. « Diminuer les exigences scolaires est une impasse », assure le chercheur.
"cours le matin, sports l’après-midi "
Le bilan de l’expérimentation « cours le matin, sports l’après-midi » vient le confirmer. Lancée à la rentrée 2010 par Luc Chatel, cette organisation devait permettre « la réussite des élèves ainsi que l’amélioration de leur bien-être et de leur santé ». 7 000 élèves, dans 120 collèges et lycées volontaires, ont bénéficié chaque semaine de deux heures et demie de pratique sportive et de deux heures de pratique culturelle supplémentaires l’après-midi. Résultat après un an ? Mitigé. Les élèves ont dit se sentir « mieux dans leur corps » et les parents ont affirmé que « la santé de leur enfant est restée stable ou s’est parfois améliorée ». En revanche, aucune « influence notable » sur la ponctualité, les absences et les sanctions. Ni sur les « capacités de concentration, d’attention, de mémorisation et d’effort ». Quant à la réussite scolaire, la moitié des parents d’élèves ont constaté que les résultats de leur enfant étaient « identiques à ceux de l’an dernier ». Autre exemple : ­l’Allemagne. Présentés comme « modèle », les après-midi sportifs et culturels sont rendus responsables du mauvais classement du pays aux évaluations internationales. Depuis 2004, plus de 4 milliards d’euros ont été investis pour permettre à un tiers des écoles primaires et à un quart des collèges d’offrir une journée complète de classe…
Pour beaucoup, il est ainsi vain et dangereux de chercher à réduire le débat aux caractéristiques individuelles, voire biologiques, des élèves. « Une telle problématique ne se donne guère les moyens de penser le temps scolaire en termes d’activités susceptibles non de s’adapter à ce que sont les enfants – ou supposés être –, mais de leur permettre de transformer ce qu’ils sont », écrit le chercheur. S’il s’agit de lutter contre la lassitude et l’échec scolaire, le vrai défi n’est pas de diminuer la quantité de cours offerts mais d’augmenter leur pertinence pédagogique pour accrocher tous les élèves.
À sa manière, Stéphanie, professeure à Paris, fait le même constat. « On le sait bien, en cours, la fatigue de l’enfant dépend beaucoup de ce qu’il a fait à la maison – s’il s’est couché tôt, s’il a regardé la télé avant de venir – mais aussi de sa motivation, de l’intérêt qu’il va trouver dans ce qu’on cherche à lui apprendre. Moi, ça m’est arrivé de faire des séances de français où on ne voyait pas le temps passer, même si certains dans la classe étaient sûrement crevés avant de venir ! »
Du coup, les préconisations des chronobiologistes, qui situent la « disponibilité optimale » des enfants du primaire entre 9 heures et 11 heures et entre 14 h 30 et 16 heures, apparaissent presque secondaires. Dès 1964, le célèbre pédagogue Célestin Freinet s’insurgeait contre le vrai-faux débat sur la fatigue à l’école. « Il est admis officiellement que le jeune enfant ne peut pas travailler plus de quarante minutes, et qu’il faut ensuite, dans toutes les classes, dix minutes de récréation. Or nous constatons expérimentalement que cette règle scolastique est fausse : lorsqu’il est occupé à un travail vivant qui répond à ses besoins, l’enfant ne se fatigue absolument pas et il peut s’y appliquer pendant deux ou trois heures. » Sans aller jusque-là, Cédric Turco, notre enseignant du Var, partage cette nécessité de repenser les contenus pédagogiques. « Le problème, c’est que ce sujet crucial est caché par celui des rythmes et par les conditions actuelles d’enseignement qui rendent difficile toute réflexion. »
Nécessité de repenser les contenus pédagogiques
Et les mois qui viennent, sur fond d’austérité budgétaire, s’annoncent rudes, tant le débat sur les rythmes se révèle à double détente. Mi-octobre, le gouvernement a fait ses propositions : retour à une semaine de quatre jours et demi, avec école le mercredi matin. Les enseignants assureraient trente minutes de devoirs en classe entre 15 h 30 et 16 heures, tandis que la dernière demi-heure d’activités périscolaires serait à la charge des communes. La proposition ne change pas grand-chose pour les élèves et a déçu les enseignants, sommés de travailler une matinée de plus sans aucune contrepartie. « Où sont passés l’ambitieuse réforme des rythmes scolaires et ses objectifs de réussite pour tous ? » s’interroge le Snuipp-FSU, principal syndicat du primaire.
Pour l’instant, si la réforme est « ambitieuse », c’est surtout en matière de décentralisation. À travers cette refonte des rythmes, le gouvernement cherche à obtenir une implication plus grande des collectivités locales, sans rien préciser des financements qui pourraient rééquilibrer les inégalités territoriales. « Tout cela s’articule avec l’acte III de la décentralisation, alerte Marine Roussillon, animatrice du réseau école du PCF. On risque de se diriger vers un service public plus municipal que national. Avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir en termes de politique scolaire et de creusement des inégalités. » Cette perspective, Cédric Turco la redoute. « Vous imaginez une école primaire dans une municipalité FN ? Le caractère national de l’éducation est l’une des choses que l’on a réussi à sauver sous la droite. Ce serait quand même paradoxal qu’un gouvernement de gauche se serve des rythmes scolaires pour s’y attaquer. »

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