PROCHE-ORIENT. COMMENT LES ÉTATS-UNIS VEULENT EN FINIR AVEC LE PEUPLE PALESTINIEN (PIERRE BARBANCEY)
L’heure de vérité approche et Washington abat ses premières cartes sur le
plan de paix israélo-palestinien de Donald Trump : son conseiller (et gendre)
Jared Kushner a confirmé jeudi qu’il ne devrait pas faire référence aux « deux
États ».
L’administration américaine a promis de dévoiler son plan de paix pour le
Proche-Orient après le ramadan, soit début juin. Mais, par petites couches,
Jared Kushner, gendre de Trump en charge du dossier, commence à en révéler les
grandes lignes, comme il l’a fait le 2 mai lors d’une conférence organisée
par le cercle de réflexion Washington Institute for Near East Policy (Winep).
Rien d’étonnant à cela. Le Winep a été créé par des proches de l’Aipac l’un des
plus puissants organes de lobby pro-israélien aux États-Unis, dont les thèses
sont proches de l’extrême droite israélienne. Le fait même que Kushner
choisisse une telle enceinte pour s’exprimer donne déjà son parti pris et celui
de son équipe, composée il est vrai de deux soutiens inébranlables de Tel-Aviv
et de la colonisation : Jason Greenblatt, envoyé spécial de Donald Trump pour
le Moyen-Orient, et David Friedman, actuel ambassadeur en Israël. Trois hommes
pour un dossier qu’ils traitent de façon déséquilibrée dès le départ, comme en
témoignent les propos de Kushner devant le Winep. Ce qui est intéressant n’est
pas tant ce qu’il révèle, car sa philosophie est bien connue, mais la manière
dont il procède pour aborder le problème.
Il se borne ainsi à constater que tout ce qui a été entrepris jusqu’à
maintenant n’a pas permis de trouver une solution à ce qu’on appelle le
« conflit israélo-palestinien », sans réellement dire pourquoi. En réalité, il
utilise les échecs successifs pour se débarrasser de tout ce qui faisait
jusqu’à maintenant la base de toute discussion : la solution à deux États. Une
idée déjà ostensiblement délaissée dans les discours officiels de
l’administration Trump, en rupture avec le passé et avec le consensus
international. Kushner a confirmé qu’elle ne ferait pas partie, telle quelle,
de ses idées. « Je réalise que ça signifie des choses différentes selon les
gens. Si vous dites “deux États”, ça veut dire une chose pour les Israéliens,
ça veut dire une autre chose pour les Palestiniens », a-t-il expliqué. « Alors
on a dit, vous savez, on a qu’à ne pas le dire. Disons juste qu’on va
travailler sur les détails de ce que cela signifie », a-t-il ajouté.
On touche là au cœur de ce que veulent imposer les États-Unis. En substance :
arrêtons de parler d’un État palestinien – celui d’Israël existant déjà – et
déclinons ce que cela pourrait signifier en termes de vie quotidienne pour les
Palestiniens. Tout en assurant que la reconnaissance de Jérusalem comme
capitale d’Israël, actée de manière aussi unilatérale que controversée par
Donald Trump fin 2017, « ferait partie de tout accord final ». De même, il
réitère l’approbation états-unienne de l’annexion par Israël de la partie
occupée depuis 1967 du plateau du Golan syrien. Il affirme ainsi que son plan,
concocté dans le plus grand secret, « s’attaque à beaucoup de sujets »,
« probablement d’une manière plus détaillée que jamais auparavant ». Et
d’asséner : « J’espère que cela montrera aux gens que c’est possible, et, s’il
y a des désaccords, j’espère qu’ils porteront sur le contenu détaillé plutôt
que sur les concepts généraux », estimant que ces seuls concepts, connus depuis
des années, n’avaient pas permis de résoudre ce conflit.
« Nous voyons Israël
comme un pays très spécial »
Ce n’est pas nouveau à proprement parler. Ce qui l’est réside dans
l’abandon pur et simple de la création d’un État palestinien. Après la mort de
Yasser Arafat, en novembre 2004, l’administration américaine de l’époque avait
tenté de financer des infrastructures politiques et économiques palestiniennes,
tentant de faire, in fine, de Ramallah la capitale d’un État virtuel qui ne
verrait pas le jour. Hier comme aujourd’hui, il s’agit pour Washington
d’annihiler toute revendication politique des Palestiniens qui empoisonnerait
Israël. Il le dit sans ambages : « Nous voyons Israël comme un pays très
spécial. C’est la seule démocratie dans la région. C’est le plus fort allié des
Américains. C’est un grand partenaire militaire. Nous faisons beaucoup
d’affaires avec eux dans de nombreux domaines. Donc la sécurité d’Israël est
quelque chose de très important pour notre pays (…) Pour qu’Israël soit en
sécurité sur le long terme, il faut résoudre ce problème. »
On s’aperçoit surtout, à travers les propos de Jared Kushner, que le projet
concerne « une vision économique pour la région » qui scellerait l’alliance
d’Israël avec les principaux pays arabes notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte
et la Jordanie, le problème palestinien n’étant alors qu’un petit caillou
gênant dans leurs godillots, qu’il convient d’extirper pour s’attaquer
résolument à l’ennemi numéro 1 qu’il faut endiguer : l’Iran. « Je crois
que nous avons construit un très bon plan pour le business », ne craint-il pas
de dire. Les éléments du puzzle sont peu à peu rassemblés et le dessin (le
dessein) commence à apparaître.
Les États-Unis et
Israël poussent à la division interpalestinienne
Pour parachever ce plan, les différents paramètres se mettent déjà en
place. Les États-Unis et Israël, aidés par l’inconsistance de l’Union
européenne et le drôle de jeu de la Russie, poussent à la division
inter-palestinienne, qui bloque toute initiative politique des Palestiniens. Les
attaques contre Gaza en sont le triste exemple, de même que les retenues
financières par Israël des taxes qui devraient être reversées aux Palestiniens.
Dans le même temps, ils aggravent l’impopularité de l’Autorité palestinienne
(qui s’autodétruit elle-même par son incapacité d’action et est gangrenée par
la corruption), laissant le peuple palestinien sans leadership capable de
mobiliser autour d’un projet fort. Enfin, ils promettent monts et merveilles
économiques qui amélioreraient la vie quotidienne. Ce qui, dans la bouche de
Kushner, se décline ainsi : « Notre but numéro 1 est que les Palestiniens
vivent mieux et que la sécurité d’Israël soit plus forte. » Son équipe, a-t-il
rapporté, a parlé à de nombreux hommes d’affaires ou citoyens lambda, pour
aboutir à un plan qui « peut être très acceptable par eux », car il « aidera
les Palestiniens à avoir de la dignité » en « cassant ce cycle ». Un
pragmatisme affiché qui confirme que ses propositions porteront davantage sur
le développement économique pour leurs territoires que sur un statut d’État à
part entière. « La question à présent se pose de savoir si les dirigeants ont
le courage de monter à bord » pour « vraiment améliorer la vie de leur
peuple », a-t-il lancé. « C’est très décourageant pour nous de voir les
dirigeants palestiniens attaquer un plan dont ils ne connaissent pas le contenu
au lieu de tenter de discuter avec nous », a-t-il ajouté, en les accusant
d’avoir pris de mauvaises décisions depuis « vingt ans » ! En revanche, pas la
moindre critique de la politique israélienne.
On comprend alors que,
pour l’administration Trump, la réélection de Benyamin Netanyahou à la tête du
gouvernement israélien, lui qui a promis d’annexer les colonies de Cisjordanie,
soit un gage de la réussite d’un plan dont le but non avoué est d’en finir une
fois pour toutes avec le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
Pierre Barbancey
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