La disparition du Parti communiste
français du Parlement européen est un événement dont il faut mesurer tous
les effets et conséquences. Sa présence depuis la création de
cette instance en 1979 a permis, malgré les freins institutionnels et le
carcan de traités, de faire progresser nombre de combats, et très souvent
de révéler des projets négatifs pour la vie quotidienne dont les traités
fondamentaux notamment Maastricht et le projet de constitution européenne
dès 2004 ou la directive dite « Bolkenstein » par Francis Wurtz. La
présence communiste et de ses alliés fut au long de ces décennies reconnue
pour son apport dans les luttes sociales et internationalistes et son
engagement, certes difficile, à protéger et fédérer le monde du travail et
de la culture à l’échelle européenne. Les parlementaires communistes ont
été des acteurs décisifs des combats contre tous les traités et directives
qui ont consacré la libre concurrence et l’essor de l’intégration
capitaliste de la construction européenne. Ils ont fait connaitre les
rouages des institutions européennes, les plans qui s’y concoctaient entre
Etats et puissances d’argent, offrant arguments et analyses pour les luttes
sociales, politiques, environnementales, culturelles.
Je ne reviendrai pas ici sur le bilan
des deux mandats que j’ai consacré avec toute mon énergie à représenter et
défendre nos concitoyens dans cette instance. J’ai à chaque
session parlementaire ou réunion de commission importante fait des comptes
rendus (toujours disponibles en cliquant ici). Si beaucoup de combats
ont été perdus à cause d’un rapport de force défavorable, beaucoup de nos
positions, votes et propositions ont permis de faire progresser le débat
européen et de peser sur des orientations favorables aux intérêts
populaires. La présence des communistes français au Parlement européen
était également un point d’appui pour de nombreux militants politiques,
associatifs, syndicaux, et nombre d’intellectuels pourchassés dans leur
pays, soucieux de tisser des liens avec les forces progressistes au cœur
des institutions européennes. C’est à nos camarades palestiniens, kurdes,
turcs, d’Amérique latine ou d’Afrique que je pense aujourd’hui qui ne
bénéficieront plus, dans la prochaine mandature, du soutien qu’ils
jugeaient précieux des parlementaires communistes français.
L’absence de représentation
parlementaire communiste ne doit pour autant pas signifier l’abandon du
combat européen. Il va falloir dans les prochains mois travailler à assurer une
présence communiste sous une forme nouvelle et fournir une analyse
régulière des enjeux européens en continuant à créer des ponts avec toutes
les forces, notamment avec les parlementaires qui siègeront dans le groupe
de la Gauche Unitaire Européenne, qui, bien qu’affaiblie dans de nombreux
pays, continuent d’œuvrer à une alternative sociale, démocratique et
écologique en opposant coopération et solidarité au règne de la concurrence
et du profit. J’y consacrerai, avec d’autres, une part de mon temps et de
mon engagement pour continuer à tisser le lien d’une histoire qui n’a pas
dit son dernier mot.
Ces élections européennes ont des
résonances importantes sur la vie nationale. Premier scrutin
depuis la victoire de M. Macron, il est riche d’enseignements pour ajuster
nos positions et préparer l’avenir. C’est avec un regard lucide sur notre
échec collectif à rassembler les électeurs sur nos propositions qu’il va
falloir analyser ce scrutin si singulier. Le débat doit être approfondi car
la tendance à la baisse est régulière par palier depuis les années 1980.
Ce scrutin met plus que jamais au
grand jour la profondeur de la crise politique qui se manifeste par un
niveau élevé du refus de vote malgré un regain de dernières
heures. La liste du président de la République ne représente que 11% des
inscrits. Les forces politiques inscrites dans l’histoire du pays sont
toutes en recul très sérieux dès lors qu’elle se situe en deçà des 10%. La
question démocratique portée par le mouvement des « gilets jaunes » reste
trop sous-estimée dans les combats populaires. Les causes de la division
sanctionnée par tous les électeurs de gauche devront être réfléchies. Nous
le leur devons et ils nous le réclament. Mais ceci ne peut faire
l’économie, à l’heure prioritaire, d’une première analyse des
bouleversements à l’œuvre en France et dans le continent. En effet nous
assistons partout dans le monde à des mouvements de fond qui partout
mettent en difficulté les forces progressistes et syndicales. La
contre-offensive des néo-conservateurs nord-américains depuis Reagan ont
aujourd’hui de terribles répliques incarnées dans des mouvements
nationalistes et d’extrême droite.
Dans notre pays, les classes
possédantes se sont soudées pour maintenir leurs positions de pouvoir et
imposer leur vision du monde. La bourgeoisie française a une
incroyable capacité, éprouvée à de nombreuses reprises, à serrer les rangs
quand elle sent ses intérêts menacés. Elle l’a démontré une nouvelle fois
dimanche dernier en se rangeant massivement derrière le parti présidentiel
après sept mois d’un mouvement social et politique ambivalent, celui des
gilets jaunes, d’une intensité inédite qui, en portant haut des
revendications pour l’égalité sociale et fiscale, a affolé les classes
possédantes et réanimé en conséquence le vieux « parti de l’ordre ». Elle a
ainsi affaibli comme jamais le parti traditionnel de la droite qui était
depuis plus d’un demi-siècle, sous divers noms, un pilier du paysage politique.
Les régions les plus ancrées dans l’histoire contre-révolutionnaire ont
ainsi affirmé leur soutien à la politique de destruction méthodique des
solidarités nationales, des services publics, du droit du travail, des
libertés publiques, toute dédiée au service des intérêts financiers pour
pousser l’intégration de la France, ce maillon décisif, à la mondialisation
capitaliste. Par la même occasion le positionnement politique du parti
présidentiel, initialement placé sur les décombres du Parti socialiste, s’est
singulièrement déporté vers la droite. S'il est vrai qu’il y a toujours «
une classe derrière l’homme », nul doute que la politique gouvernementale
au bénéfice des riches va encore s’amplifier avec en ligne de mire nos
retraites, nos service publics, l’affaiblissement du parlement, la casse du
statut de la fonction publique pour ouvrir ses mission au marché de
l’emploi capitaliste et à ses règles. C’est donc un projet proprement
contre-révolutionnaire que portent aujourd’hui les classes dirigeantes et qui,
sur les sujets économiques et sociaux, ne tranche pas avec celui proposé
par l’extrême droite.
Se dessine désormais, si ce n’est un
« nouveau monde », un « monde nouveau » où les forces traditionnelles ont
laissé place à un duo fomenté de longue date entre les extrêmes-droites
et les libéraux. Il faut prendre la mesure de cette nouvelle donne
politique et ses implications sur le clivage, toujours vivace dans les
consciences et les pratiques, entre la droite et la gauche.
La percée de l’écologie politique
est un événement considérable dont les conséquences durables sur le paysage
politique ne sont, pour l’heure, pas établies, tant il est vrai
que ce courant politique est traditionnellement porté par les élections
européennes pour retomber comme un soufflet. Cependant, la destruction que
nos sociétés envahies par la loi du profit opèrent sur la nature et le
vivant suscite une saine et juste inquiétude qui peut être le vecteur d’une
politisation nouvelle, notamment dans la jeunesse. L’enjeu principal réside
dans notre capacité collective à lier le combat pour l’environnement à la
justice sociale pour que l’inquiétude ne se transforme pas en angoisse ou
en fatalisme, et n’aille pas non-plus fortifier les fondations du projet de
l’extrême droite adepte d’une « écologie des peuples » de sinistre mémoire.
Démonstration doit être faite de l’incompatibilité d’une politique
écologique avec les traités de libre-échange et les guerres commerciales,
et des dangers des récupérations par l’extrême droite des thématiques qui
lui sont liées.
L’essor continu et l’homogénéisation
nouvelle du vote d’extrême droite sur tout le territoire confirme la
virulence du virus nationaliste et xénophobe. Il prospère à la
faveur des chamboulements extraordinaires que le capital, dans sa dynamique
néolibérale, impose aux sociétés : chômage de masse, précarité,
délocalisation de la production, nouvelles stratégies impérialistes du
capital qui ruinent des pays entiers, multiplication phénoménale des
marchandises qui enlaidissent nos sociétés et asservissent les peuples par
une consommation pulsionnelle tout en menaçant désormais la coexistence de
l’Homme avec son environnement naturel. Malgré un rejet majoritaire du
capitalisme, l’alternative au système ne parvient pas se frayer son chemin,
et l’hypothèse de son dépassement ne semble pas imprimer dans les
consciences et encore moins dans les votes.
L’extrême droite s’affirme partout
en alternative, non pas au capitalisme, mais à la gestion par les élites
libérales du capitalisme mondialisé. Ces dernières ont fait prospérer
leur indécente richesse sur des inégalités et une géographie nouvelle qui
ôte en permanence aux classes populaires, réduites au rôle de fantassins de
la guerre économique, leur pouvoir de décisions, tout en travaillant à leur
autonomisation à l’échelle mondiale. Le régime a-démocratique qui est celui
des sociétés les plus développées rencontre des résistances qui ne
parviennent pas à se traduire en une alternative sociale et solidaire mais
qui, au contraire viennent nourrir les passions haineuses et inégalitaires,
sans jamais remettre en cause la domination qu’exerce le capital et ses
institutions sur nos vies. Incontestablement, l’extrême droite est devenue
le réceptacle des souffrances d’une part très importante des milieux
populaires qui choisit de s’exprimer par le vote. Ce fait d’une extrême
gravité, devrait concentrer l’essentielle de nos analyses et de nos
efforts, tant il est porteur de périls et tant il condamne la possibilité
d’une alternative majoritaire portée par la défense des intérêts
populaires, indispensable à tout processus de transformation sociale
démocratique et écologique.
L’extrême droite représente une
fraction des classes possédantes qui, à l’image de Mme Le Pen, de MM
Bannon, Trump, Salvini, Orban, etc…, déploie une stratégie
droitière-populiste qui flatte les instincts nationaux pour prendre les
rênes du capitalisme et consacrer les inégalités. Mais l’histoire nous
enseigne qu’il n’y a pas d’autre finalité à l’extrême droite que la guerre.
Elle menace aujourd’hui d’ailleurs partout et les budgets militaires
flambent au rythme de l’intensification des guerres commerciales et
douanières, et de l’arrivée des extrême-droites dans les gouvernements. Il
y a donc urgence à penser le dépassement de cette période historique (à
partir des aspirations populaires à faire du neuf) pleine de menaces et à
une prise de conscience générale des travailleurs et des citoyens de ses
impasses funestes.
Le travail devant nous est colossal
et ne peut s’effectuer qu’à condition que les motifs de divisions
n’ensevelissent pas les positions communes. La qualité du
débat doit être à la hauteur de notre responsabilité historique. C’est ce à
quoi nos journaux l’Humanité et L’Humanité Dimanche doivent s’employer avec
toute l’abnégation requise. C’est un service que nous devons à toutes
celles et ceux qui sont inquiets et cherchent les voies de l’unité
populaire et de l’émancipation humaine. Nous y reviendrons.
Dans ce contexte d’après élections,
il y a de quoi être très inquiet par le rouleau compresseur en marche. A peine les urnes
rangées que le prix de l’électricité augmente vertigineusement, que les
promesses autour de Alstom-General Electric à Belfort ne sont que chiffon
de papier, comme ceux de l’après Whirlpool à Amiens ou même d’Ascoval. Dans
un autre registre, de nouveaux pas contre la liberté des journalistes à
faire leur travail avec la convocation des journalistes du Monde à la DGSI.
De ce point de vue, sur chacune de ces questions, les hauts scores de
l’extrême droite sont bien utiles au pouvoir macroniste. Nous
reviendrons sur chacun de ces enjeux.
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