UNE LETTRE AUX FRANÇAIS QUI FERME LE GRAND DÉBAT AVANT DE L’OUVRIR
Le retour de l’ISF est
écarté par Emmanuel Macron, pour qui la discussion doit aboutir à déterminer
quels impôts l’on doit baisser, quels services publics il faut fermer. Lire la lettre intégrale
«Pour moi, il n’y a pas de questions interdites », prévient Emmanuel Macron
dans les premières lignes de sa lettre aux 66 millions de Français, publiée
aujourd’hui. « Afin que les espérances dominent les peurs, il est nécessaire et
légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de notre
avenir », écrit-il encore pour lancer le grand débat national qui doit durer
jusqu’au 15 mars prochain, via des réunions locales ou sur une plateforme
numérique qui doivent être lancées cette semaine. Le dispositif, complété par
des conférences citoyennes régionales, doit être précisé aujourd’hui par le
premier ministre.
Pas sûr toutefois que la suite de sa lettre donne envie, comme il l’espère,
« que le plus grand nombre de Français » participent à ce grand débat. Car s’il
pense que ce débat peut apporter « une clarification de notre projet national
et européen », c’est après avoir rappelé qu’il a été élu sur un projet, et
qu’il n’a pas l’intention d’en changer. « Je pense toujours qu’il faut rendre à
la France sa prospérité pour qu’elle puisse être généreuse, car l’un ne va pas
sans l’autre, (...) que l’emploi se crée avant tout dans les entreprises, qu’il
faut donc leur donner les moyens de se développer. » Qu’il faut « un système
social rénové » et « réduire les inégalités à la racine ». Il prévient : « Sur
ces grandes orientations, ma détermination n’a pas changé. »
Les thèmes retenus, d’apparence larges, ont été remaniés. Outre la
fiscalité, l’environnement et l’enjeu démocratique, déjà annoncés, le thème du
pouvoir d’achat n’apparaît plus comme un sujet. Il a tout simplement disparu de
cette longue missive. Et quand cette question est abordée, ce n’est qu’au
travers des baisses d’impôts. « Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en
réalité ? » demande Emmanuel Macron. Pour ceux qui n’avaient pas compris le
message, il précise : « Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les
baisses d’impôts sans baisser le niveau global de notre dépense publique. » Il
poursuit : « Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à
faire ? Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou
trop chers par rapport à leur utilité ? » Ceux qui seraient tentés d’évoquer
les besoins nouveaux de services publics, ils sont priés de dire « comment les
financer ».
Le retour de l’ISF, revendication qui revient perpétuellement autour des
ronds-points, dans les manifs des gilets jaunes et sur les cahiers de doléances
ouverts dans les mairies, est aussi fermement rejeté. « L’impôt, lorsqu’il est
trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement
s’investir dans les entreprises, créant ainsi de l’emploi et de la croissance.
(...) Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour
corriger cela afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie
davantage. »
L’immigration et la
laïcité au menu du grand débat
Les ardents défenseurs du RIC, et tous ceux qui plaident pour de nouvelles
formes d’intervention populaire, pourront investir les débats visant à donner
plus de force à la démocratie et la citoyenneté. Mais Emmanuel Macron refuse de
donner l’exemple, le chef de l’État n’ayant manifestement pas l’intention de
faire déboucher ce grand débat sur une grande consultation populaire. « Ce
n’est ni une élection, ni un référendum », précise-t-il, avant d’expliquer que
ces propositions visent « à bâtir un nouveau contrat pour la Nation, à
structurer l’action du gouvernement et du Parlement ». Plus inquiétant encore,
il ne limite pas ce débat au fonctionnement démocratique mais souhaite qu’il
serve à interroger la citoyenneté. Point de discussions sur l’éducation populaire
ou la façon de construire des citoyens actifs et émancipés, mais plutôt
l’impérieuse nécessité de réfléchir à « l’intégration », à « nos obligations en
matière d’asile », au « défi » de l’immigration. Il remet dans le débat public
la question de la « laïcité », alors que ces sujets clivants avaient été
justement occultés par deux mois de mobilisations sociales. Autre sujet dont il
fait ardemment la promotion, la réforme de l’État et des administrations.
Encore un sujet que l’on avait peu vu et lu depuis le 17 novembre. Cette
volonté d’enfermer les échanges et de les caler sur l’agenda politique des
tenants du pouvoir ne va pas faire illusion très longtemps. « Un grand débat où
c’est eux qui choisissent les thèmes ? Ils se foutent de nous ! Avec des gens
comme ça on débat pas, il faut leur imposer nos idées, qu’ils n’aient plus le
choix », expliquait Adrien, un gilet jaune de 38 ans.
Pierre Duquesne
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