GILETS JAUNES. MACRON OU LA TACTIQUE DU JUDOKA (CÉDRIC CLERIN)
La nouvelle stratégie
du président ? Utiliser la force de son adversaire pour le renverser. À savoir
s’appuyer sur les aspirations démocratiques des gilets jaunes pour tenter de
faire passer sa réforme institutionnelle et se refaire une virginité. Un jeu
(très) dangereux.
Emmanuel Macron va-t-il enfiler un gilet jaune ? « Le mouvement des gilets
jaunes est une chance » serait devenu le refrain à la mode dans les couloirs de
l’Élysée. Confronté à une crise politique majeure mettant en cause jusqu’à sa
légitimité, le président s’oriente vers une stratégie de judoka : utiliser la
force de son adversaire pour le renverser. Les macronistes tentent donc
désormais d’expliquer que le mouvement des gilets jaunes serait en réalité une
résurgence de la campagne 2017 d’En marche ! Pour casser l’image d’un candidat
banquier hors-sol, les soutiens d’Emmanuel Macron avaient alors réalisé une «
grande marche », campagne de recueil de paroles citoyennes qui se voulait
totalement novatrice. En réalité un porte-à-porte aux dimensions assez limitées
(25 000 questionnaires remplis). Cette démarche initiale serait en
résonance avec le mouvement actuel. « Cette crise aura réinventé notre façon
d’exercer le pouvoir en révélant une aspiration très forte des Français à
participer au débat politique », affirme ainsi Hugues Renson, vice-président
macroniste de l’Assemblée nationale. Macron meilleur ambassadeur des gilets
jaunes ? La ficelle est un peu grosse. Reste que le chef de l’État a besoin de
retrouver une légitimité que lui contestent désormais de très nombreux
Français : un sur deux demande sa démission, selon un sondage publié début
décembre (Yougov). Comment reprendre la main sans changer d’orientation
politique, tout en donnant l’impression d’avoir entendu le peuple ?
Détourner le
Référendum
Le président a dans l’idée de profiter de la crise pour imposer sa réforme
des institutions. Les Français critiquent leurs élus déconnectés du peuple ? On
va en réduire le nombre (réduction d’un tiers des parlementaires). Ils veulent
plus de démocratie ? On va introduire une dose minime de proportionnelle (15
%). Ils veulent pouvoir proposer une loi ? Acceptons le référendum d’initiative
citoyenne avec un nombre de signataires suffisamment grand pour qu’il soit très
difficile d’en organiser un. Voilà en substance la supercherie qu’Emmanuel
Macron s’apprête à proposer aux Français.
Avant cette sortie de crise, le président espère que le mouvement aura
quitté les ronds-points, et même qu’il pourra lui profiter électoralement. La
répression violente sert à dissuader la masse des mécontents de se rejoindre
dans les rues et donc de donner force au mouvement. On recense ainsi une
quarantaine de blessés graves dus au zèle des « forces de l’ordre » depuis six
semaines. Main arrachée, fracture de la mâchoire, perte d’un œil ou encore
perte d’audition figurent au triste bilan d’une répression aveugle, sans
distinction d’âge (victimes de 15 ans…). Le gouvernement a d’ailleurs
commandé 1 280 fusils lanceurs de balles de défense en caoutchouc de
40 millimètres, ainsi que 450 fusils automatiques du même calibre
capables de tirer plusieurs balles en même temps. La sévérité des condamnations
judiciaires (voir p. 18) complétant un dispositif répressif assez inédit.
Pendant que la rue se fait de plus en plus dangereuse, la majorité incite
les manifestants à se structurer politiquement. « Puisque chaque jour on nous
dit : “Voilà les nouvelles propositions”, eh bien qu’ils s’organisent, qu’ils
fassent une plateforme de propositions et qu’ils aillent aux élections », a
ainsi déclaré le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, le 16
décembre dernier. Quelques jours plus tôt, un sondage indiquait qu’une liste «
gilets jaunes » aux élections européennes pourrait atteindre 12 %, en prenant
largement sur le RN d’un côté et la France insoumise de l’autre. Les deux
principaux opposants à Macron et soutiens ouverts du mouvement des gilets
jaunes…
Bien loin des
aspirations profondes
Des calculs qui semblent cependant bien loin des aspirations profondes
exprimées dans ce mouvement. Les annonces sur le pouvoir d’achat du président
n’ont trompé personne et n’ont pas calmé grand monde avec le tour de
passe-passe des 10 milliards pris d’une main pour les rendre de l’autre. Plus
fondamentalement, les gilets jaunes expriment le ras-le-bol d’un peuple pour
des politiques successives qui ne répondent jamais aux besoins sociaux et
n’écoutent jamais les revendications populaires. Ni la réforme
constitutionnelle envisagée par le président, ni les mesures prétendument
sociales mises sur la table ne répondent à l’enjeu. Le livre programme du
candidat Macron s’appelait « Révolution ». C’est peut-être ça !
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