MATIGNON. PHILIPPE S’INSPIRE DE LA DROITE POUR DÉFAIRE LE DROIT DE MANIFESTER (OLIVIER MORIN)
Les mesures annoncées par le chef du gouvernement lundi soir, déjà en germe dans une proposition de loi adoptée au Sénat, font craindre une remise en cause de la liberté de manifestation et d’opinion.
Une main de fer dans un gant d’acier. C’est la réponse du premier ministre
aux aspirations populaires qui s’expriment largement dans le pays, avec colère
ou non, allant jusqu’à mettre en péril le droit de manifester. En annonçant,
lundi soir sur TF1, une future loi durcissant les sanctions contre les casseurs
et les manifestations non déclarées, l’exécutif compte augmenter encore le
pouvoir des préfets en les autorisant notamment à prononcer des interdictions
de manifester contre de potentiels auteurs de troubles. Les représentants de
l’État pourront même obliger ces derniers à pointer dans les commissariats ou
les gendarmeries. Un fichage qui inquiète au plus haut point la Ligue des
droits de l’homme (LDH). Son président, Malik Salemkour, dénonce « une
surenchère sécuritaire et une fuite en avant du gouvernement ». Pour lui, ces
mesures visent à confondre les casseurs et les opposants politiques, et
menacent directement la liberté de manifester, mais aussi la liberté d’opinion.
« Et pas seulement de quelques-uns, mais de tous. » Sans compter qu’en
renforçant les pouvoirs des préfets, c’est bel et bien une « police
administrative », voire une « police politique » qui s’exercerait. D’autant que
si l’État veut stopper les manifestations, « il ferait mieux de répondre
d’abord aux demandes sociales qui s’y expriment », juge Malik Salemkour, qui
ajoute que, même sans « loi anti-casseurs », les pouvoirs publics disposent
déjà de l’arsenal nécessaire pour appréhender les éventuels participants
violents.
Ficher les « casseurs
potentiels »
Le premier ministre et ses services s’appuient sur des mesures prises il y
a plus de dix ans contre le hooliganisme. En août 2007, sous la présidence de
Nicolas Sarkozy, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie avait alors
pris un arrêté visant à créer un Fichier national des interdits de stade
(Fnis). Une liste où sont notamment consignés l’identité, l’adresse, le nom du
club de supporters et la photographie des personnes concernées, ainsi que les
raisons de l’interdiction. Lors de l’Euro de football organisé neuf ans plus
tard par la France, un palier est encore franchi puisqu’une loi permet alors
aux clubs de refuser dans les stades des personnes qui ne sont même pas
inscrites au Fnis. C’est sur cette notion de « casseurs potentiels » qu’Édouard
Philippe compte élaborer la future loi qui pourra « être déposée et discutée
par l’Assemblée nationale, début février », a-t-il encore annoncé.
Une loi qui rappelle furieusement celle proposée par Bruno Retailleau (LR)
et adoptée par la majorité de droite du Sénat en octobre 2018… et contre
laquelle la majorité présidentielle s’était alors prononcée. La droite, qui
encourageait déjà l’exécutif à « casser les casseurs », prévoyait alors de
ficher les personnes interdites de manifestation, de transformer en délit le
fait de cacher son visage et de permettre à l’État de poursuivre les casseurs
pour leur faire payer les dégradations. La gauche sénatoriale s’était alors
vigoureusement opposée à cette proposition de loi dangereuse. Le sénateur PS
Jérôme Durain évoquait même la réminiscence de la loi « anti-casseurs » adoptée
en 1970 par le gouvernement Chaban-Delmas, puis abrogée en 1981 avec l’arrivée
de François Mitterrand au pouvoir. Avec les annonces d’Édouard Philippe, la
majorité compte bien damer le pion à la droite, tout en utilisant un travail
législatif élaboré par les parlementaires LR qui lui convient bien.
Amnesty International
s’inquiète
Si la volonté de réduire le droit de manifester n’est pas nouvelle, les
menaces qui pèsent sur ce droit fondamental se font plus pressantes. Amnesty
International note même que « depuis l’instauration de l’état d’urgence, un
glissement dangereux s’est opéré ». L’organisation non gouvernementale explique
que « des stratégies de maintien de l’ordre sont mises en place qui impactent
fortement des droits fondamentaux dans l’objectif de prévenir des risques qui
pourraient avoir lieu, sans aucune preuve concrète et solide que des événements
dangereux pour la nation vont en effet arriver ».
Olivier Morin
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