GOUVERNEMENT. ÉDOUARD PHILIPPE MANIE LE BÂTON ET OUBLIE LA CAROTTE
Avec un ton moins
martial qu’Emmanuel Macron, le premier ministre a délivré, hier soir sur TF1,
un message sécuritaire devenu stratégie de l’exécutif face au mouvement des
gilets jaunes.
Le terrain avait été soigneusement préparé depuis les vœux aux Français
d’Emmanuel Macron le 31 décembre, où le président a dénoncé, sans nommer les
gilets jaunes, les « porte-voix d’une foule haineuse ». Après l’acte VIII
des gilets jaunes, et se situant dans la perspective d’un acte IX samedi
prochain, le premier ministre, Édouard Philippe, a joué du bâton sans la
carotte. S’il distingue les manifestants des casseurs, ce sont tous ceux qui
défilent qui sont visés par le durcissement de l’arsenal répressif. Le visage
dissimulé dans la rue, y compris avec un masque contre les lacrymogènes ? Un
délit bientôt, et non plus une simple contravention. Toute manifestation non
déclarée verra les peines alourdies pour ceux identifiés comme organisateurs et
participants. Enfin, dès février, le gouvernement compte instaurer un fichier d’interdits
de manifestation, sans dire clairement sur quelle base : des personnes
condamnées, comme pour le fichier des ultras interdits de stade, ou sur la base
de la seule suspicion, comme pour les assignés à résidence, empêchés de se
mobiliser contre des projets comme Notre-Dame-des-Landes ?
le premier ministre
s’en tient à une réponse sécuritaire
Le dispositif policier retrouvera samedi prochain son niveau de
mi-décembre, à savoir près de 80 000 policiers et gendarmes dans toute la
France, a précisé le premier ministre, assurant que les manifestants violents
n’auraient « pas le dernier mot ». Vendredi déjà, avant l’acte VIII,
l’exécutif qualifie le mouvement d’« agitateurs » voulant « renverser le
gouvernement ». De ce moment où sa faiblesse est évidente, le pouvoir veut la
retourner en une force, en s’appuyant sur la « légitime violence » de l’État
pour retrouver une assise politique. Laurent Wauquiez, le président des
« Républicains », regrette toutefois des annonces « sans efficacité immédiate.
C’est tout de suite qu’il faut rétablir l’ordre », estime-t-il, invoquant
l’état d’urgence. Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a réagi
rapidement : « Le premier ministre promet plus d’arrestation ? On veut plus de
pouvoir d’achat ! » « 8 week-ends successifs de mobilisation, des dizaines
de milliers de personnes qui battaient le pavé encore samedi dernier… et le
premier ministre s’en tient à une réponse sécuritaire. Absurde », a également
tweeté Ian Brossat, tête de liste du PCF aux élections européennes. Même
tonalité du côté de la députée FI Clémentine Autain, qui qualifie
l’intervention d’Édouard Philippe d’« hallucinante », dénonçant des annonces
focalisées sur les « casseurs ». « Pour le reste, les millions de Français ?
Circulez, il n’y a rien à voir », ajoute-t-elle.
« Face à l’ultraviolence, il faut de l’ultrasévérité, et il faut que cela
cesse », plaidait encore le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald
Darmanin, hier matin sur RTL. Tout était déjà fin prêt pour que le premier
ministre sorte de son silence, face à un journaliste regrettant le faible
nombre des condamnations intervenues. Édouard Philippe a même pu entonner le
couplet de la séparation des pouvoirs tout en insistant sur les
« 5 600 gardes à vue » et « plus de 1 000 condamnations »
enregistrées depuis le début du mouvement.
Au début du quinquennat, l’exécutif s’était déjà illustré en la matière
avec l’adoption de la loi de « lutte contre le terrorisme et de sécurité
intérieure », controversée du fait de ses aspects liberticides. Et la majorité
ne manque pas de ressources. Si Édouard Philippe n’en a pas dit mot, son
ministre de l’Intérieur a pris soin d’annoncer, un peu plus tôt lors de ses
vœux aux forces de l’ordre, une future loi d’orientation et de programmation
pour la sécurité afin de « fixer la vision à long terme de notre politique de
sécurité intérieure ». Le premier ministre a refusé néanmoins une demande des
policiers : le placement sous mandat de dépôt des personnes condamnées à de la
prison ferme pour des violences en marge de manifestations, signifiant leur
envoi en maison d’arrêt dès leur condamnation.
La proposition d’un fichier des interdits de manifester émane, elle, de la
droite sénatoriale. Le 23 octobre dernier, le président du groupe des sénateurs
LR, Bruno Retailleau, voulait « casser les casseurs ». Édouard Philippe la
reprend désormais à son compte, et la présentera début février à l’Assemblée.
Piquant de l’histoire, les sénateurs LaREM avaient alors voté contre. Le
gouvernement, par la voix de Laurent Nunez, avait également donné un avis
défavorable. Avant de se rallier aujourd’hui à la proposition de la droite.
Julia Hamlaoui, Olivier Morin et Lionel
Venturini
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