" Le vrai monde ", l'éditorial de Patrick Apel-Muller dans l'Humanité de demain jeudi
« C’est n’être bon à rien
de n’être bon qu’à soi. » Le mot de Voltaire venait à l’esprit à
l’écoute du long – très long – plaidoyer d’Emmanuel Macron, dans ce qui se
voulait l’ouverture du grand débat national. Il a dit oui, il a dit non aux
maires parfois émouvants qui l’interpellaient, mais il s’est avant tout livré à
un exercice de propagande, semblable à ceux qu’il conduisit lors de la campagne
présidentielle. L’ISF ? Pas question. La fraude fiscale ? Pas un mot. Les
dividendes record du CAC 40 ? Connaît pas. La hausse du Smic ? Circulez. Le
Cice ? Rien de nouveau. Tout juste a-t-il entrebâillé une porte sur la
limitation de vitesse à 80 km/h et sur la loi NOTRe. L’exercice est resté loin
– si loin – de « la fracture sociale » qu’il a reconnue.
Le président n’est même pas
parvenu à dissimuler une morgue de classe. Après les « illettrées de Gad »,
« les fainéants », « le pognon de dingue des minima sociaux », « les gens qui
ne sont rien », « les Gaulois réfractaires au changement », voici les pauvres
« qui déconnent ». Il a même récidivé : « Moi, là ou j’habite, en traversant la
rue, je peux vous dire on en trouve », du travail, s’est-il gaussé. Parlait-il
de la place Beauvau qui voisine l’Élysée ?
Pourtant, deux mois après le
lancement de la révolte des ronds-points – toujours soutenue par 67 % des
Français –, Emmanuel Macron a accusé le coup. Pour la première fois, il a dû
prononcer les mots « gilets jaunes » qu’il avait jusqu’alors soigneusement
évités et reconnaître que le mouvement lui imposait un « acte II » de son quinquennat.
Le « nouveau monde » n’a pas résisté au vrai monde.
Le grand débat est déjà là, dans
les rues et au sein des familles, dans les ateliers et derrière les bureaux.
Les syndicalistes, la gauche, les démocrates l’investissent déjà pour que cette
colère très juste ne soit pas dévoyée et stérilisée mais se charge de politique
au sens le plus noble, la conduite des affaires de la cité au service du plus
grand nombre. Elle pourrait bien faire éclater les corsets taillés par le
pouvoir et déborder des seuls espaces dédiés.
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