Ruée sur le Nutella : « Pourquoi on en fait des tartines »
Des bousculades dans des
supermarchés pour des pots de Nutella ou des couches Pampers bradés. Les images
saturent les écrans. Une info spectaculaire qui ne coûte pas cher... et
interroge sur notre société. Car, derrière le phénomène, il y a une réalité
sociale. Celle d'un pays où des produits de grande consommation deviennent un
luxe.
C'est la France des
précaires. Celle des frigos vides qui collectionne les bons de réduction.
L'enseigne Intermarché avait préparé le terrain pour sa super-promo « Les 4
semaines les moins chères de France ». Sur les pots de Nutella, 70 % de
réduction pendant trois jours, du 25 au 27 janvier. « Quantités limitées »,
prévenaient les pubs placardées un peu partout. Dans la Loire, l'Oise, le Nord,
mais aussi le Rhône... le message a bien été entendu. Pour avoir un pot de 950
grammes à 1,41 euro, au lieu de 4,70 euros, il y a des mouvements de foule, des
bousculades, voire des bagarres, obligeant parfois gendarmes et policiers à
intervenir. À Marseille, 300 personnes attendaient devant un magasin de
l'enseigne. Dans le 16e arrondissement à Paris, rien de tout cela, le pot y est
à 5,25 euros.
Il faut écouter ceux qui
se sont rués sur ce Nutella. « D'habitude, les gens achètent de la pâte à
tartiner premier prix. Comme ça, ils économisent pour mettre de la viande dans
leur assiette ; là, ils peuvent s'offrir de la marque ! » Confient-ils au «
Parisien », qui est allé les voir à l'Intermarché de Beauvais Nord. Ils disent
aussi, comme Sadio, mère de trois enfants : « À cette période du mois, il me
reste parfois 20 euros. Le Nutella, c'est un produit de luxe, comme le vrai
Coca. » Ou encore : « Pour une fois qu'on peut faire plaisir aux enfants ! »
Dans notre société, le
Nutella, comme le Coca-Cola, est donc devenu un produit de luxe. L'offrir à ses
enfants, c'est quelque part dire « eux aussi y ont droit ». Trois euros de
moins, ça fait parfois toute la différence. Il y a une France qui en est à 3
euros près...
Comme les étudiants sont
bien à 5 euros près d'APL. Pour eux, c'est deux repas au restaurant
universitaire ou « trois jours de pâtes ». Près des Intermarché concernés, il
suffit de regarder les chiffres du chômage. À Roubaix (Nord), selon l'Insee, il
s'établit à 30 % ; à Saint-Chamond (Loire), à 18 % ; à Rivede-Gier (Loire),
20,2 % ; à Beauvais (Oise), c'est 20,5 %...
Mais cette réalité,
beaucoup ne veulent pas la voir. Sur les réseaux sociaux, chacun y va de son
commentaire, mépris de classe contre « les cassos » qui se battent pour un pot
de Nutella. Il faut dire que le président avait déjà désigné « ceux qui ne sont
rien » contre « ceux qui réussissent ».
Au-delà, ces « émeutes »
sont aussi révélatrices de ce que le « néolibéralisme peut produire comme
comportements d'achat impulsif. La grande jungle des marchés mondiaux n'est pas
pour rien dans les petites rixes des supermarchés locaux. Sur les premiers, les
requins qui se disputent pour gagner des parts. Sur les seconds, des petits
poissons qui jouent des coudes pour gagner des pots », analyse l'économiste
Jean Gadrey.
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