Les retraites ou le capital : un choix de civilisation (Patrick Le Hyaric)
Le pouvoir
aux abois veut faire croire que sa contre-réforme des retraites ne concerne que
les régimes dit « spéciaux », dont les bénéficiaires –
«horribles profiteurs » – sont livrés à la vindicte. Or, c’est bien d’un
bond en arrière civilisationnel dont il s’agit pour chacun et chacun et pour
les générations à venir : il s’agit tout à la fois de reculer l’âge de
départ en retraite et de diminuer le niveau des pensions, alors que la
productivité du travail et la valeur des richesses produites continuent
d’augmenter. Où seraient dirigés les surplus produits ? Sur les comptes en
banques déjà bien garnis des puissances d’argent.
Ce sont eux
qui bénéficient de régimes très spéciaux. A la différence des revenus du
cheminot, du postier, de l’agent public, de l’avocat, du paysan ou du retraité,
les revenus financiers ne participent pas au financement de la protection
sociale. Et on ne parle pas ici d’un enjeu marginal puisque l’INSEE évalue à
près de 299 milliards le niveau des revenus financiers des entreprises et des
banques exonérés de prélèvement social. Cette somme est très supérieure au
paiement de la totalité des retraites sur une année. Si ces revenus
contribuaient au même taux que les salariés au financement des caisses de
retraite, 31 milliards pourraient être dégagés, soit le double du déficit
maximal avancé par le Conseil d’orientation des retraites.
Cette
contribution ne serait que justice. Surtout, elle constituerait un levier pour
réorienter les choix économiques vers le travail et sa meilleure rémunération.
Dans le même ordre d’idées, le remplacement du CICE par un processus de
modulation des cotisations sociales indexé sur une meilleure rémunération,
l’égalité salariale hommes/femmes, la création d’emploi, la formation continue
et l’investissement en faveur des territoires et de la transition
environnementale générerait une recette allant de 70 à 90 milliards en cinq
ans.
L’indispensable
relocalisation et développement de l’industrie, le déploiement d’une
agriculture paysanne, le soutien au petit commerce et à l’artisanat, les
mutations numériques contrôlées par la nation et les citoyens, l’amélioration
des services publics ancrés sur tous les territoires, obligeraient à des
créations d’emplois massifs et des formations nouvelles. Trois à quatre
millions d’emplois pourraient être créés à court terme avec autant de cotisants
et de cotisations sociales, et donc des économies sur l’assurance chômage et
les prestations sociales. Au bas mot on peut estimer à 30 milliards la valeur
des cotisations supplémentaires ainsi collectées.
Un tel projet
de réforme progressiste des retraites inverserait les logiques actuelles dont
la cohérence réside dans le transfert croissant de la valeur ajoutée créée par
le travail vers le capital.
Le pouvoir et
le grand patronat s’acharnent à faire croire qu’il n’y aurait que leurs
contre-réformes possibles car ils ne veulent surtout pas qu’on touche à la dure
loi de l’argent-roi. L’Intérêt général commande pourtant de le faire.
Celui-ci
serait largement conforté si des représentants élus des assurés sociaux
participaient à la gestion des caisses de protection sociale et de retraites.
Le débat sur un projet alternatif doit être lancé pour sortir de l’enfer
ultra-libéral. Il aidera à consolider le mouvement unitaire en cours vers le 5
décembre. La réponse positive de toutes les forces de gauche et de l’écologie à
l’appel au débat et au rassemblement pour une réforme progressiste lancé par
Fabien Roussel et le Parti communiste le 11 décembre va y contribuer. On peut
inventer un système unifié faisant converger vers le haut tous les droits à une
retraite solidaire par répartition pour toute la population dès 60 ans avec un
niveau de pension garanti d’un niveau minimal d’au moins 75% du meilleur revenu
en activité, tout en prenant en compte les particularités professionnelles et
le niveau de pénibilité. C’est un enjeu de civilisation. Le Capital et ses
serviteurs s’y opposent. Pour eux, vivre plus longtemps est un handicap alors
que c’est une chance qu’ouvrent à la fois les avancées sociales et
scientifiques. Comme à d’autres moments de l’histoire, le mouvement social et
populaire peut les contraindre au recul, s’il reste uni et déterminé.
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