QUE CACHE LE DÉBAT SUR LE VOILE ? « Une fièvre insensée et un piège », par Pierre DHARRÉVILLE, député PCF
À la
vérité, c’est un débat usant. On connaît bien l’objet par lequel éclate le
scandale : le foulard dont les femmes se couvrent le chef. Aujourd’hui se
déroule le énième épisode d’une série interminable mais qui reste toujours à
l’antenne. C’est le témoignage d’une crispation identitaire qui saisit la
société de façon répétitive comme une
crampe. C’est sans doute le symptôme d’un pays englué dans la crise, empêché
d’avancer, incapable d’imaginer l’avenir, baignant dans son jus sans parvenir à
s’en extirper. Mais ce débat sur le voile, qui ne vient jamais seul, a une
fonction dans le débat public, celle de cristallisateur de division et d’activateur
de confusion. À chaque fois qu’il revient, il produit des dégâts considérables,
convoyant avec lui le rejet des musulmans, ou supposés musulmans, déjà tant
stigmatisés et discriminés, comme en ont témoigné l’agression au Conseil
régional de Bourgogne-France-Comté et l’attaque de la mosquée de Bayonne.
Avec
un peu de recul, on se rend mieux compte de l’ampleur de l’offensive, des
énergies qu’elle mobilise, de la constance des efforts déployés. Dès février
2019, certains députés « Les Républicains » avaient déposé de
nombreux amendements sur la loi dite « pour une école de la
confiance », dont un pour remettre le couvert sur l’interdiction
d’accompagnement des sorties scolaires pour les mamans portant un foulard sur
la tête. Un vieux débat déjà tranché en 2004, mais sujet de plusieurs
controverses depuis lors. Ce jour-là, le ministre Jean-Michel Blanquer
entrouvrait la porte. Les députés « Les Républicains tenaient là le fil
d’une pelote. Ils annoncèrent le dépôt d’une proposition de loi. Et la laïcité
avec l’immigration, fut ajoutée par Emmanuel Macron dans la liste des sujets du
grand débat, même si ni l’une ni l’autre ne figuraient au cœur des
préoccupations exprimées par le mouvement des gilets jaunes. La mayonnaise ne
prit pas immédiatement, mais les ingrédients étaient sur la table.
On
ne peut rappeler ici tous les événements par lesquels s’est accrue la
polémique, depuis les sorties d’Éric Zemmour, jusqu’aux commentaires satisfaits
de Marine Le Pen, mais aussi en passant par les interprétations de
l’inquiétante « société de vigilance » appelée de ses vœux par le
président à la suite du dramatique attentat de la préfecture de Paris. Au
centre du débat public, incessamment se dressent les thématiques de
l’immigration, de l’islam et du terrorisme, installant les décors mauvais du
grand remplacement et de l’islamisation de la société. Comme si tout se nouait
et se dénouait là, le voile y est devenu un drapeau prétendant tout résumer et
ne résumant rien.
Et
l’empoignade autour du voile a ceci de pratique qu’elle permet de convoquer la
laïcité et le féminisme pour justifier l’injustifiable. Pour répétée qu’elle
ait été, la supercherie fonctionne toujours après tant d’années et la confusion
qu’elle génère vient alimenter la haine des musulmans ou supposés tels
(n’oublions pas que leur présence visible rappelle dans l’inconscient si ce
n’est dans le conscient le passé traumatique de la colonisation et de la
décolonisation) et différentes formes de réaction face à cette haine. Les
gagnants sont connus : l’extrême droite et l’intégrisme. La République
s’abîme toujours dans cette fièvre insensée.
Bien
sûr, le pouvoir utilise ce débat comme une diversion. Bien sûr, nous savons
combien les néolibéraux se servent de la présence de ces deux dangers jumeaux
pour se légitimer comme remparts contre le pire. Mais les effets réels en sont
de plus en plus délétères au fil du temps et l’on ne saurait être absent, même
s’il n’est pas facile de déterminer la bonne façon de réagir : ne pas
nourrir la bête, ne pas se laisser aspirer dans la polémique, s’inscrire dans
la durée, se tenir fermement à la rampe de la raison, chercher à rassembler.
Pour défendre la liberté et les droits des femmes avec elles et avec tous, et
pour combattre clairement les nouveaux visages du racisme. Faire l’effort de
sortir du piège.
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