Patronat. Dans le sillage de Ghosn, un système de revenus opaques chez Renault
Une poignée de dirigeants du constructeur français auraient profité de
compléments de revenus versés par la holding néerlandaise commune à Renault et Nissan,
RNBV, sans que les instances du groupe en soient informées. Un scandale pour la
CGT, qui a saisi l’État actionnaire.
L’affaire Carlos Ghosn change de dimension. Elle n’est plus seulement
l’histoire de la dérive individuelle d’un homme assoiffé d’argent. C’est
désormais tout un système impliquant la direction de Renault qui est en passe
d’être découvert, avec les révélations qui s’enchaînent à propos de la holding
commune de l’alliance entre le constructeur français et son partenaire japonais
Nissan. Selon plusieurs médias, RNBV (pour Renault-Nissan B.V.), société
domiciliée dans le paradis fiscal que sont les Pays-Bas, servirait discrètement
de caisse noire pour octroyer de copieux compléments de revenus à quelques très
hauts privilégiés membres de son directoire. Ainsi, l’un des dix membres de ce
tout petit cercle (qui compte cinq dirigeants de Renault et cinq de Nissan)
aurait touché entre 80 000 et 130 000 euros par an, en plus de sa
rémunération perçue au titre de ses responsabilités chez Renault. Et cela
aurait perduré « pendant plusieurs années », selon des « documents
confidentiels » révélés jeudi par France Info.
Une pratique « légale » confirmée par la direction de Renault auprès de la
radio, et qui concernerait tous les membres du directoire de RNBV, Carlos Ghosn
inclus. Mais aussi Thierry Bolloré, actuel directeur général délégué de
Renault, chargé de gouverner l’entreprise par intérim après l’arrestation du
président de l’Alliance Renault-Nissan au Japon, le 19 novembre.
Des éléments
qui n’apparaissent nulle part dans les comptes
Des procédés condamnés et dénoncés par la CGT Renault, qui a adressé, le 11
décembre, un courrier au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le
Maire. Le syndicat y fait état du « fonctionnement opaque » de la structure de
gouvernance de l’Alliance, qui « nourrit jour après jour beaucoup
d’interrogations ». En particulier, « les administrateurs salariés de Renault
(…) sont totalement privés d’informations relatives au fonctionnement, aux
débats et décisions prises au sein de RNBV », relève la CGT. « Ces éléments
n’apparaissent nulle part dans les comptes et les résultats de Renault,
confirme Fabien Gâche, délégué syndical central CGT du groupe. RNBV est une
nébuleuse, sur laquelle nous n’avons aucune information depuis au moins 2012.
On ne sait pas ce qui s’y dit, on ne connaît pas le budget, on ne sait rien de
cette boîte noire. »
Les choses ne devraient pourtant pas se passer ainsi, si l’on en croit ce
qui est écrit dans les documents officiels de Renault et les statuts de RNBV,
que l’Humanité a consultés. On peut y lire que cette holding, fondée en 2002,
soumet ses décisions « aux organes de direction et d’administration de Renault,
qui s’assurent de leur conformité à l’intérêt social de Renault ». Les émoluments
distribués depuis un paradis fiscal aux membres de son directoire auraient-ils
été jugés conformes à « l’intérêt social » de la marque française, si ses
administrateurs en avaient eu connaissance ? Rien n’est moins sûr.
Un véritable
passeport pour l’évasion fiscale
Dans les faits, RNBV gère ses affaires loin des instances censées la
contrôler. Les assemblées générales de ses actionnaires se tiennent
exclusivement à Amsterdam ou à Haarlemmermeer, sur l’emprise de l’aéroport
d’Amsterdam, le temps de valider les comptes annuels, sur convocation du
directoire. Un véritable passeport pour l’évasion fiscale, sans droit de regard
possible. « Qui décide de la hauteur des rémunérations ? Qui finance, de
Renault ou de Nissan ? Nous n’en savons rien, sans compter que cela signifie
que ces revenus-là sont hors impôts en France », pointe Fabien Gâche.
L’affaire est d’autant plus sensible que l’État est détenteur de 15 % du
capital de Renault, et dispose à ce titre d’un administrateur. « L’État étant
actionnaire, il y a des comptes à demander », a réagi le sénateur PCF Éric
Bocquet, rapporteur d’une commission d’enquête parlementaire sur l’évasion
fiscale. Contacté jeudi par l’Humanité, le cabinet du ministre de l’Économie et
des Finances temporise. « Le ministre vient de recevoir le courrier de la CGT,
on va regarder, l’administrateur de l’État n’a pas plus d’informations que
celui des salariés », nous déclare-t-on à Bercy, où l’on met en avant « l’audit
demandé par Renault sur Renault » lui-même, comme gage de volonté de
transparence.
Ce n’est pourtant pas la première fois que sont évoquées les pratiques
financières opaques mettant en cause RNBV. Dès 2017, l’agence Reuters révélait
les « bonus cachés » dont aurait bénéficié Carlos Ghosn, via des transferts de
fonds à une société néerlandaise. Le 28 novembre dernier, neuf jours après
l’arrestation du PDG de l’Alliance, l’Express pointait à son tour « les
sociétés de Renault et de Nissan installées aux Pays-Bas » comme autant de
« boîtes noires », dont RNBV. Juste avant que Nissan demande officiellement, le
12 décembre, l’ouverture d’une enquête indépendante sur sa holding commune avec
Renault, soupçonnée d’avoir assumé des frais « n’ayant que peu à voir avec sa
raison d’être », selon les Échos. En particulier, des revenus dont Carlos Ghosn
n’aurait pas à « divulguer les montants publiquement ». Difficile donc de
soutenir, comme l’a fait Bruno Le Maire dès le 20 novembre, qu’« il n’y a rien
de particulier à signaler » concernant la situation fiscale du président de
Renault dans l’Hexagone. À moins, ironise la CGT, que cela soit l’aveu « que
M. Carlos Ghosn ne paye pas d’impôt en France »…
Sébastien Crépel
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