Gilets jaunes. Des ronds-points aux bulletins, quelle traduction politique ? (Maud VERGNOL)
À moins de cinq mois des européennes,
entre les velléités d’une liste « 100 % gilets jaunes », l’extrême droite en
embuscade et la défiance vis-à-vis des corps intermédiaires, l’aboutissement
politique de ce mouvement citoyen inédit reste à écrire.
L’idée était dans l’air. Elle pourrait
bien se concrétiser. Une vingtaine de personnes réunies sous la bannière
« Coordination nationale des gilets jaunes » se sont réunies, le 20 décembre, à
Paris pour travailler sur « une stratégie électorale » en vue des élections
européennes, qui se tiendront le 26 mai prochain. « La perspective est bien de
composer une liste pour les européennes », confirme Jean-François Barnaba,
l’une des figures médiatiques du mouvement. « On est en train de mettre en
place tous les groupes de travail, des pôles thématiques, dans lesquels des
citoyens vont faire remonter du terrain un certain nombre d’idées et de
revendications », assure également Hayk Shahinyan, qui a déposé les statuts
d’une association, Gilets jaunes, le mouvement. Ce restaurateur de 25 ans,
passé par les rangs du MJS (Mouvement des jeunes socialistes), est l’un des
initiateurs de cette liste aux européennes.
Vers une liste aux européennes ?
« La plupart des gilets jaunes que j’ai
rencontrés sont des gens qui ne votent plus depuis longtemps. On leur propose
d’arrêter de boycotter les élections en rejoignant enfin un mode de
fonctionnement innovant », explique-t-il. Alors, les gilets jaunes peuvent-ils
devenir un mouvement politique ? Les personnalités qui encouragent la création
d’une liste 100 % gilets jaunes, de Bernard Tapie à Francis Lalanne, en passant
par l’écrivain Alexandre Jardin, peuvent en faire douter. Un milliardaire
fraudeur fiscal, un chanteur dépassé ou un écrivain qui assurait les meetings
d’Emmanuel Macron pendant la présidentielle… avec un tel attelage, difficile
d’être crédible et de dessiner une cohérence politique. Pourtant, Jean-François
Barnaba l’assure : « On crée les conditions pour que cette liste se réalise. »
Un piège, craignent déjà certains gilets jaunes, qui s’inquiètent d’une
division du mouvement. Sans parler d’une dispersion des voix, dont Emmanuel
Macron et Marine Le Pen sortiraient vainqueurs, sans que cette irruption
citoyenne, qui a remis les inégalités sociales au cœur du débat politique, ne
trouve de débouchés lors de cette élection. La majorité s’en frotte déjà les
mains et ne s’en cache pas. « Puisque chaque jour on nous dit “Voilà les
nouvelles propositions”, eh bien, qu’ils s’organisent, qu’ils fassent une
plateforme de propositions et qu’ils aillent aux élections », a lancé le
président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Le 8 décembre, un sondage
réalisé par l’institut Ipsos créditait de 12 % d’intentions de vote une liste
des gilets jaunes aux élections européennes.
Jeudi, c’était au tour de Florian
Philippot d’annoncer la conduite d’une « liste hybride mi-Patriotes mi-gilets
jaunes » aux européennes. « Ce n’est pas sorti de mon chapeau depuis trois
semaines, je voulais déjà donner cette coloration sociale au Front national »,
se justifie l’ancien bras droit de Marine Le Pen, alors que le RN est toujours
annoncé en tête du scrutin. Opposée à la hausse du Smic, la patronne du RN,
dont le projet politique est en contradiction totale avec les aspirations
démocratiques et sociales exprimées par les gilets jaunes, espère patiemment
que le dévoiement de ce mouvement serve de marchepied à un débouché
autoritaire, à l’image de ce qui s’est passé en Italie avec le Mouvement 5
étoiles.
Transformer la colère en espoir
« Saurons-nous faire grandir les conditions d’une
issue émancipatrice ? » interroge la députée FI Clémentine Autain. La question
reste entière, tant les formations de gauche avancent affaiblies et en ordre
dispersé. « Notre but, ce n’est pas de récupérer, mais d’être récupéré, et j’ai
l’honneur de vous dire que c’est fait », affirmait un peu rapidement Jean-Luc
Mélenchon début décembre, alors que son mouvement, en panne de dynamique, peine
à incarner naturellement le débouché politique des gilets jaunes. « La colère,
si elle est seule, elle ne produit rien de bon », avertit Fabien Roussel.
« Nous voulons donner aussi l’espoir et montrer qu’il y a d’autres choix à
faire », explique le secrétaire national du PCF, qui souhaite une « liste
ouverte à des gilets jaunes, des blouses blanches, des robes noires, des cols
bleus » pour sortir du duel mortifère entre « l’Europe des technos » et
« l’Europe des fachos ».
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