« La vidéosurveillance est un gaspillage de l’argent public » (Laurent Mucchielli)
Dans un livre à paraître demain, 7 mars, le sociologue
Laurent Mucchielli relance la polémique sur la vidéosurveillance. S'appuyant
sur une enquête de terrain, il dresse un bilan accablant de son efficacité et
fustige le « bluff technologique » des industries de sécurité, le gaspillage de
l’argent public et la démagogie politique. Entretien.
A quoi sert la vidéosurveillance ? Si
certains élus prétendent y voir un outil de dissuasion, d’autres vantent ses
vertus en termes d’élucidation judiciaire. En France, aujourd’hui,
3500 municipalités, de droite comme de gauche, en seraient équipées et se disent
unanimement convaincues par son utilité dans la panoplie de lutte contre la
délinquance, justifiant au passage son poids conséquent dans leurs
budgets.
Et pourtant, depuis plus de vingt ans,
le monde scientifique, par la voix de chercheurs français et étrangers, ne
cesse de juger, chiffres à l’appui, l’impact très limité de la
vidéosurveillance sur l’insécurité. C’est ce que rappelle le sociologue Laurent
Mucchielli, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’université d’Aix-Marseille,
dans un ouvrage sans concession à paraître le 7 mars, « Vous êtes filmés –
enquête sur le bluff de la vidéosurveillance » (éditions Armand Colin).
S’appuyant sur une enquête de terrain,
l’universitaire passe au crible les rouages politiques, économiques, sociaux et
techniques de la vidéosurveillance pour « sortir des imaginaires et des
discours » et produire une évaluation réelle, qui n’a jamais été établie à ce
jour par les autorités. Dans cet entretien accordé à « La Gazette », il
enfonce le clou et dresse un bilan particulièrement sévère de cet outil,
insistant sur le « bluff technologique » des industries de sécurité, le
gaspillage de l’argent public et la démagogie politique.
A quoi sert vraiment la vidéosurveillance ?
Je constate tout d’abord qu’enregistrer
des images utilisables ensuite par les policiers ou les gendarmes dans leurs
enquêtes a une efficacité réelle mais très limitée. La présence d’images utiles
n’est avérée que dans 1 à 3% du total des enquêtes réalisées dans l’année sur
la commune. On peut penser que « c’est toujours ça de pris » mais
aussi savoir que c’est très peu et s’interroger sur le rapport coût-avantage.
Deuxièmement, chercher à sécuriser un
lieu précis à l’aide de la vidéo (le parking d’une gare où ont lieu beaucoup de
vols dans les voitures, ou bien un square où a lieu du deal de
drogues) conduit bien à réduire le problème à cet endroit précis mais ne le
fait pas disparaître, ça le déplace vers un autre endroit de la ville.
Par ailleurs, employer des agents
municipaux (policiers ou ASVP) pour regarder les écrans dans un Centre de
supervision urbain (CSU) est à peu près inutile du point de vue de la lutte
contre la délinquance. Cette « détection en direct » étant très
faible, cela conduit à un détournement du système vers d’autres usages, le plus
rentable étant la vidéo-verbalisation. Une ville peut faire ce choix mais dans
ce cas il faut dire la vérité à la population : les caméras ne la
protègent pas des vols ou des agressions, elles accroissent la répression des
infractions routières.
Quatrième constat : la construction d’un
CSU et l’emploi d’agents municipaux coûte cher et réduit les effectifs
disponibles sur le terrain. Or, dans toutes les villes, les élus et les chefs
de police disent regretter de ne pas pouvoir faire de la police de proximité
faute d’effectifs. C’est une contradiction majeure.
Enfin, dire que la vidéo aide à nous
protéger du terrorisme est une sottise ou un mensonge. Dans tous les cas
survenus ces dernières années, quand le terroriste a survécu on retrouve des images
de lui après coup. Quand tout le monde est déjà mort. Cela ne sert donc à rien
et c’est même au contraire utilisé par nos ennemis dans leurs stratégies
d’endoctrinement des jeunes.
Vous n’hésitez pas à qualifier la vidéosurveillance de
« gaspillage de l’argent public » ?
Mon métier de fonctionnaire de la
recherche me permet de parler sans langue de bois, devoir de réserve ni conflit
d’intérêt. J’étudie un objet avec des méthodes scientifiques et je tire des enseignements.
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