UNE SEULE ISSUE : " LE RETRAIT " (PATRICK LE HYARIC)
Expédier deux projets de lois, modifiés six fois, détruisant l’un des fondements du pacte social français, abasourdis de plus de mille pages d’étude d’impact, est un procédé que le Conseil d’Etat ne pouvait admettre. C’est heureux car le respect de l’état de droit, si souvent invoqué, est ici mis en cause. Ce dernier suppose que les études d’impact soient rendues publiques et soumises à la juridiction administrative avant le débat parlementaire, précisément pour aider à l’élaboration de la loi et non pour en favoriser coûte que coûte l’adoption.
Brouillon,
imprécis, sans garantie ni sur la pérennité du système, ni sur le montant des
pensions, inconséquents au regard de son ambition à refondre le modèle social
hérité de 1945 -dont le Conseil d’Etat souligne la « solidité »-, émaillé de
mesures anticonstitutionnelles : tel est le réquisitoire sans appel que la
plus haute juridiction administrative inflige au projet de loi et au
gouvernement. La conférence des présidents du Parlement se grandirait en demandant
de surseoir à l’ouverture du débat parlementaire fixée dans quelques jours
seulement. Les groupes de la gauche vont déposer une motion de censure et
disposent de l’argumentaire juridique pour déposer une motion d’irrecevabilité.
Les parlementaires communistes proposent une motion dont le vote ouvrirait la
voie à un référendum. Si le groupe macroniste majoritaire est si sûr de son
fait, il n’aura aucun mal à la voter.
L’étude
d’impact rédigée dans l’urgence pour faire passer le projet au forceps comporte
des biais scandaleux qui obligent le Conseil d’Etat à la déclarer « très
en deçà de ce qu’elle devrait être ». 1029 pages pour ça ! Ainsi en
va-t-il de l’âge dit d’équilibre. Pendant des mois, le gouvernement a déployé
son argumentaire en insistant sur l’instauration d’un âge d’équilibre à 64 ans.
Et voici que l’étude le fixe à 65 ans. Pire, ces 65 années servent de base à
toutes les communications du pouvoir alors que l’article 10 du projet de loi
stipule que l’âge d’équilibre est appelé à évoluer « à raison des deux
tiers des gains d’espérance de vie à la retraite constatés ». Tous les
« cas types » servant à nourrir les propagandes gouvernementales
volent en éclat. Pour espérer une pension décente, il faudra bien travailler
jusqu’à 66 ans, et bien plus pour les nouvelles générations !
L’étude
d’impact révèle également que la part de la richesse produite consacrée aux
pensions est appelée à baisser dans les prochaines décennies, en deçà des 13%.
Le nombre de retraités croissant entrainera mécaniquement une baisse générale
des pensions. Quant à l’inconstitutionnalité des primes versées aux enseignants
pour corriger la saignée instaurée la contre-réforme, elle révèle un
amateurisme accablant, doublé d’un manque de sincérité révoltant.
Le
gouvernement ose déclarer que les éclaircissements aux multiples zones d’ombre
seront apportés…une fois le texte adopté ! L’intelligibilité du débat
parlementaire est désormais clairement remise en cause. Rarement un tel mépris
de la démocratie représentative aura été affiché.
La sévérité
du Conseil d’Etat donne la mesure du parjure démocratique dans lequel se vautre
la macronie. La crise politique touche désormais le système institutionnel dont
des fragments s’inquiètent de la rupture du « contrat social » selon
les mots mêmes des rédacteurs de l’avis. Par la brutalité d’une politique toute
tournée vers la satisfaction des moindres exigences du capital, le gouvernement
fait vaciller ce qui reste du compromis social qui, bien que largement
insatisfaisant, garantissait un certain équilibre entre travail et capital,
sans lequel la République n’est qu’un vain mot. Des segments de plus en plus
larges de la société ne le supportent plus. Et la menace d’un passage en force
par ordonnances ou 49.3 n’est pas de nature à calmer les esprits.
Une situation
nouvelle est ainsi crée. Il ne reste de ce projet que poussières et lambeaux.
Il devrait rejoindre les poubelles de l’histoire, sauf au prix d’un
redoublement de la crise démocratique dont personne ne connait l’issue.
L’exigence d’une consultation populaire est à l’ordre du jour.
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