Derrière le voile, une inquiétante dérive (Patrick Le Hyaric)
Si les mots
ne tuent pas, ils peuvent blesser et meurtrir. Ils contribuent surtout à mettre
sur orbite des idées qui saturent le débat public et brouillent les repères
républicains. Il n’aura pas fallu attendre longtemps après la convention de la
droite réunie sous les auspices de la mouvance identitaire et la logorrhée
raciste de Zemmour diffusée à grande échelle pour que se déchaîne la haine
contre la population de confession musulmane.
Pas un jour
ne passe désormais sans que les musulmans de France ne soient pointés du doigt,
insultés, méprisés. Il aura suffi qu’un conseiller régional d’extrême-droite en
mal de notoriété s’autorise, en dehors de tout cadre légal, à exiger le
dévoilement d’une maman accompagnatrice scolaire devant son enfant pour qu’une cohorte
de ministres et parlementaires, d’éditorialistes et plumitifs se liguent en
sonnant l’hallali contre le « péril musulman ».
La mécanique
est huilée qui laisse désormais à l’extrême droite le pouvoir d’orienter le
débat public et politique. Et une fois encore, les chaines dites
« d’information continue » comblent le vide par la vacuité,
remplissant le temps d’antenne par le bavardage réactionnaire de quelques
pontes médiatiques plus préoccupés par le voile, véritable fétiche, et les
femmes qui le portent, que par les fins de mois impossibles de millions de nos
concitoyens.
Le travail
parlementaire se trouve ensuite phagocyté par ces basses polémiques de haute
intensité puisque, à la suite du coup d’esbroufe de l’élu d’extrême
droite, une proposition de loi a été opportunément déposée par le
groupe « Les Républicains » du Sénat pour interdire aux mamans
voilées d’accompagner leurs enfants en sortie scolaire.
La loi est
pourtant claire. Le droit a été dit en 2004 et le Conseil d’Etat l’a confirmé
en 2013 : les accompagnatrices scolaires, n’étant pas des agents publics, ont
toute latitude de se vêtir comme elles le souhaitent. Le guide de la laïcité de
l’Education nationale le confirme. Tels sont la lettre et l’esprit de la loi de
1905, loi de concorde et de paix civile garantissant la liberté de conscience
et l’autonomie de la société. En affirmant que « le voile n’est pas
souhaitable », et ajoutant que « ce n’est pas quelque chose
d’interdit, mais ce n’est pas non plus quelque chose à encourager », M.
Blanquer fait non seulement preuve d’une grande légèreté, mais il se place en
travers de la République. Il est censé garantir et appliquer la loi
républicaine, or il tente d’imposer une norme sociale et vestimentaire sur la
base d’une simple opinion qui contrevient aux principes législatifs.
Jaurès, artisan décisif de la loi de séparation, s’interrogeait : Qu’est-ce
donc que la République ? C’est un grand acte de confiance et un grand acte
d’audace.
Or, notre
régime se caractérise aujourd’hui par de grands actes de défiance et de peurs.
Défiance,
quand les us et coutumes de la population musulmane sont considérés comme
autant d’indices de « radicalisation ».
Peur, quand
la République n’ose plus affirmer la puissance de son creuset, préférant
s’enfoncer dans la recherche de boucs émissaires, cultivant différences et
divisions.
Défiance,
encore, quand M. Macron, mélangeant allègrement immigration, religion, terrorisme
et communautarisme – confusion dont l’extrême-droite fait son miel – promeut
une « société de vigilance » qui déléguerait aux citoyens le rôle de
surveillance dévolu aux services de l’Etat, incitant les classes populaires du
pays à s’épier entre elles. Prenant d’ailleurs M. Macron au mot, l’élu
extrême droite s’est réclamé de la « vigilance citoyenne » pour justifier son
propos raciste et antirépublicain.
Nul ne
saurait nier l’offensive mondiale subventionnée à coups de pétrodollars
de forces répondant d’un islamisme politique rétrograde, réactionnaire et
anti-démocratique. Les mêmes d’ailleurs qui sont cajolées par les puissances
occidentales et le grand capital alors qu’elles ont partie liée avec le
terrorisme. Nul ne saurait non plus nier la résurgence des nationalismes et
identitarismes sur le dos des grandes espérances émancipatrices universalistes.
Mais combien
de réalités se cachent derrière le port du voile ? Culture, conviction,
mal-être, affirmation de soi : les motivations sont variées, souvent
anodines, et les ressorts complexes. Il parait bien hasardeux de demander à la
République de s’immiscer dans l’intimité des consciences. Quel précédent cela
créerait-il dans un pays qui se flatte encore d’être celui des droits de
l’homme et du citoyen ? La République et les actes législatifs
portés en son nom garantissent la liberté de conscience. C’est l’esprit de la
loi de séparation des Eglises et de l’Etat qui garantit les indépendances
respectives des cultes et de l’Etat dans ses différentes missions.
Chacun sait
que la majorité des femmes voilées, qu’elles soient issues de l’immigration
récente ou nées en France, vivent dans les quartiers populaires, ces sas de la
mondialisation capitaliste où s’accumulent les violences sociales, physiques et
symboliques. L’école est justement le lieu de la rencontre féconde au petit
matin quand les parents accompagnent les enfants, dans l’association de parents
d’élèves ou au Conseil d’école. Chacune de ces occasions permet de se
comprendre mieux et de ne pas laisser certaines mamans isolées ou s’isoler
elles-mêmes pour être considérées pleinement citoyennes aux droits égaux.
Les
entreprises de division, qu’elles viennent des classes possédantes pétries d’un
universalisme aussi abstrait que leur confort social est concret, de l’extrême
droite raciste et démagogue ou des obsédés de l’identité nationale, ethnique et
religieuse, ont pour fonction de masquer ce qui unit les milieux
populaires : l’oppression féroce exercée par le capital sur leurs conditions
d’existence. Voilà le piège tendu ! Redonner confiance à la République,
c’est créer les conditions d’une union populaire capable de déjouer les
divisions instillées de toutes parts et dont le voile est aujourd’hui
l’instrument.
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