LE BLOG DES COMMUNISTES DE ROMAINVILLE

vendredi 9 novembre 2018

CENTENAIRE DU 11 NOVEMBRE 1918. COMMÉMORER POUR PENSER UN AUTRE AVENIR (PATRICK LE HYARIC)


De villes en villages, la France s’est replongée dans l’un de ses plus grands traumatismes. Une myriade d’initiatives a permis de porter un regard neuf sur la tragédie inaugurale d’un siècle de fer et de feu. De nombreuses familles ont exhumé leurs archives, et avec elles une mémoire enfouie sous d’épaisses couches de non-dits ou de souvenirs cauchemardesques.
Se souvenir de la Grande Guerre, c’est avant tout rester fidèle au deuil porté dès les lendemains de l’armistice par les millions de combattants et de familles confrontés à l’absurdité du carnage. C’est aussi ne pas oublier que ce sont les peuples qui ont exigé la fin de la mare de sang continentale. En ce sens, l’absence de défilé militaire, le jour anniversaire où les armes se turent, respecte la mémoire de ceux qui perpétuèrent le souvenir du champ d’horreurs.
Se souvenir, c’est également célébrer la paix, transformée sous la pression revancharde en un « entracte dérisoire entre deux massacres de peuples », comme le pressentait Romain Rolland. Cette paix évanouie la veille de la déclaration de guerre avec l’assassinat de Jean Jaurès par la propagande belliciste et chauvine incarnée. Cette paix que le mouvement ouvrier européen aura tentée, bien seul, de préserver.
L’ordre du monde qui accoucha du massacre reposait sur la compétition entre puissances impériales et coloniales, le venin nationaliste distillé et un capitalisme assis sur l’exploitation débridée des travailleurs. Après l’armistice, cet ordre apparut pour ce qu’il était : un immense désordre qui laissait la pulsion de mort envahir les peuples. L’intuition que le monde devait changer de base devenait dès lors, nécessité. Dans de nombreux pays, dans les colonies, se levèrent soldats, ouvriers et paysans pour la paix, le pain et la liberté. Des partis communistes essaimèrent partout sur les décombres.
Mais une commémoration dit toujours plus du présent que du passé. Notre pays a fait de grands pas, ces dernières années, en reconnaissant fusillés pour l’exemple et mutins courageux, et le sacrifice des troupes coloniales. En a-t-il autant fait pour conjurer les risques de nouveaux affrontements meurtriers ? Rien n’est moins sûr.
Le président a choisi de donner à cette commémoration une coloration très politique, cheminant sur la ligne de front d’un territoire meurtri par l’Histoire, aujourd’hui sacrifié sur l’autel d’une violente guerre économique, comme le rappelle fort à propos le nouveau prix Goncourt. Le message et les actes d’espoir et de rassemblement attendus se sont transformés en un étrange éloge de Philippe Pétain, pourtant frappé d’indignité nationale et définitivement déchu de ses titres militaires. Son infamie collaborationniste s’est muée en de simples « choix funestes », sous les vivats de l’extrême droite. Propos de division au moment où M. Macron prétend prendre le drapeau de la lutte contre le nationalisme et la xénophobie ici et en Europe… Quelle hypocrisie !
Commémorer, c’est ne jamais oublier qu’aux côtés des paysans bretons ou des ouvriers de Sedan, se trouvaient dans la boue des tranchées nos frères brimés des colonies, les grands-parents de ceux que les autorités européennes et gouvernementales rejettent toujours, parfois même à la mer.
Commémorer, enfin, c’est ne pas oublier ce que l’Europe a pu produire au cours de cette première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, le continent est en proie à de nouveaux spasmes nationalistes qui prospèrent sur la compétition forcenée érigée en dogme par d’iniques traités européens. Les budgets d’armement flambent sur l’ensemble de la planète et la France, désormais arrimée à l’Otan, y contribue grandement en armant les pires dictatures au monde, tout en tournant le dos à l’aspiration majoritairement exprimée aux Nations unies de dénucléariser les arsenaux militaires. Et le président avance l’idée d’une « armée européenne » appelée à s’insérer dans de funestes rivalités de blocs pour soutenir la guerre économique.
Le XXe siècle a été inauguré par la grande boucherie. Jaurès, le fondateur de notre journal, à vouloir la conjurer y laissa la vie. Aujourd’hui, chacun pressent les dangers de la combinaison d’une mondialisation financière sans rivage et d’un national-capitalisme renaissant, accélérant le désastre social et environnemental, les reculs démocratiques, et attisant des tensions internationales potentiellement dévastatrices. Trouver et unir les forces qui ne s’y résolvent pas est sans doute le meilleur moyen d’honorer ce centième anniversaire. Pourquoi n’ouvrirait-il pas débats et actions pour révolutionner la construction européenne, en ouvrant la perspective d’une nouvelle Union des peuples et des nations associés, libres et solidaires ; une Union des peuples à construire avec patience pour la paix et l’intérêt général humain et environnemental ?

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