Municipales : « La commune, hier et aujourd’hui ! (Robert Clément)
Faut-il
présenter la commune ? Ne vaut – il
pas mieux passer à l’action sans s’encombrer de considérations
théoriques ou historiques ?
Telle
est la question que peut légitimement se poser l’élu(e) nouvellement ou
anciennement installé dans la « gestion communale ».
Pour
le communiste que je suis, la question se pose différemment. L’élu(e) du peuple
qui pénètre pour la première fois dans l’Hôtel de ville prend le relais d’une
longue tradition de luttes populaires, de victoires et d’épreuves, toutes au
service de la liberté.
Très
vite, il s’apercevra que, dans la société capitaliste en crise, la vie d’un(e)
élu(e) du peuple est une suite de luttes et que l’autonomie communale – sujet
inépuisable de discours pour notables réactionnaires – apparaît hier comme
aujourd’hui, sous d’autres formes bien sûr, comme une coquille plutôt vide.
Cependant, plutôt que de sombrer dans la révolte anarchique ou dans la résignation, l’élu – progressiste – reviendra alors aux sources de la conception démocratique de la commune, échelon de base de la démocratie dans l’État.
Très vite, il comprendra que la gestion communale pose, en
priorité, une question politique. Découvrant, au niveau local, les rouages
d’une société en crise pour qui ne comptent que les intérêts de quelques
groupes financiers dominants, il en déduira que la bataille se livre sur tous
les terrains : celui des institutions, celui des objectifs de gestion,
celui des pratiques démocratiques, et toujours en s’appuyant sur le peuple, sur
les citoyens. Tel est le préalable à toute action : connaître le terrain,
éviter les pièges, définir les objectifs et les méthodes démocratiques de
l’action communale.
La réalité communale a, en France, une histoire presque
millénaire et cette histoire révèle, dès l’origine, qu’elle ne saurait se
limiter à celles d’institutions ou de techniques de gestion. Cette lutte se
déroule, pendant le Moyen Âge, dans les « communes » et les
« communautés rurales ». La révolution voit ensuite naître les
contradictions du municipalisme bourgeois que résout provisoirement le
compromis réalisé dans la loi municipale du 5 avril 1884, facilitant la
conquête des premières municipalités ouvrières.
Après la Commune en 1871 qui avait vu, à Paris au moins,
l’alliance de la classe ouvrière et des autres couches populaires, la
bourgeoisie comprit qu’il était de son intérêt de passer quelques compromis
avec la petite bourgeoisie paysanne et urbaine. Telle est la signification des
réformes républicaines des années 1870 et 1800 : le suffrage
universel ; la proclamation de la République elle-même ; les
garanties de la presse ; l’obligation, la gratuité et la laïcité
scolaires ; la liberté d’association. Naturellement, une grande loi
s’inscrivit dans cet ensemble : la loi du 5 avril 1884. Cette loi institue
le système qui, pour l’essentiel, restera en vigueur jusqu’à la Ve
République. Elle développe incontestablement la démocratie municipale en
soumettant au seul suffrage universel l’élection des conseillers, et à ceux-ci
l’élection du Maire et des adjoints. Cependant, elle maintient pratiquement
intacte la tutelle préfectorale et prétend confiner la fonction municipale aux
problèmes dits « d’intérêt local ».
C’est la loi du 2 mars 1982, relative aux droits et
libertés des communes, des départements et des régions qui ouvre la voie à un
profond bouleversement de la répartition des pouvoirs au profit des élus
locaux. Considérée comme la loi inaugurale de la décentralisation, elle
consacre essentiellement trois évolutions
- La suppression de la tutelle administrative et financière à priori exercée par le préfet.
- Le transfert de
l’exécutif départemental et régional au profit d’un élu local.
- La région devient une
collectivité territoriale de plein exercice.
On pourrait être amené à penser que, dès lors, nous en
aurions fini avec la tutelle qu’exerce l’État sur les organes locaux et sur le
respect de la libre administration des collectivités locales, conformément à
l’article 72 de la constitution. Il n’en n’est rien. Il suffit pour s’en
convaincre de de se reporter aux
contrats imposés par le gouvernement Macron/Philippe en 2017, à 319 principales
collectivités locales afin qu’elles réalisent 13 milliards d’euros d’économie.
N’est-ce pas une attaque en règle contre les libertés des communes, des
départements et des régions ?
On pourrait également imaginer que le temps des
« lois » et des « projets » pour tenter de porter atteinte
à l’existence des communes, qui ont d’ailleurs échoué, appartient à un passé
révolu. Certes, les temps ont changé. Il ne s’agit plus d’imposer un
regroupement autoritaire et la suppression de facto de plus de 30 000
communes. L’attaque est plus sournoise, et plus dangereuse. Les communes se
trouvent prises en étau, par une réduction drastique de leurs moyens et une
marche forcée pour imposer des regroupements de collectivités, et de
« gigantesques métropoles » en vue d’éloigner les citoyens des
pouvoirs de décision et réduire coûte que coûte la dépense publique. N’est-ce pas
Emmanuel Macron lui-même qui vient de donner son accord à la fusion antres les
départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines ?
Il n’est pas question pour moi de nier le phénomène de
métropolisation. Prenons l’exemple du Grand Paris. Depuis 2016, les villes des
Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ont intégré la Métropole
du Grand Paris et des établissements publics territoriaux. Si ces nouveaux
territoires ouvrent des perspectives de développement et de solidarité, ils
comportent aussi des risques. Les habitants de la petite couronne parisienne ont
tout à gagner à se doter d’élu-e-s capables d’appréhender l’avenir de leur
territoire en misant sur la cohérence, le partage de projets ambitieux pour
l’emploi, les transports ou les services
publics, comme sur l’égalité de traitement pour tout le monde. Le risque est
avant tout démocratique à commencer par la mise en place même de ces nouvelles
collectivités imposées par l’État sans que les élu-e-s municipaux n’aient été
consultés et aient pu en décider, et encore moins nos concitoyens.
Le transfert de compétences à la métropole et au
territoire : urbanisme, habitat, développement économique, social et
culturel éloigne de fait les citoyens des prises de décision. À la concurrence entre
les territoires qui s’impose trop souvent dans les lieux de pouvoir, il est
préférable de faire valoir la coopération et les intérêts communs. Pour cela,
la commune doit rester cet espace démocratique de proximité, où peuvent
s’exprimer les besoins en matière de déplacements, d’environnement, de nouveaux
équipements publics ou d’ouverture vers les villes voisines. De mon point de
vue la loi NOTRe doit être repensée, tant dans ses compétences obligatoires
qu’optionnelles.
L’attachement de nos concitoyens à leur commune est une
réalité. Malgré la malfaisance de la politique du pouvoir de l’argent, la
commune est demeurée et demeure un organe indispensable de la vie sociale en
France. Dans la vie politique la commune continue à jouer un rôle tout à fait particulier.
C’est dans la commune, dans le bureau de vote du quartier ou du village que les
Français votent, à l’occasion de toutes les élections. C’est souvent à partir
de la vie politique locale que les habitants prennent conscience de la réalité
politique nationale. Dépassée la commune ? Pour ma part, je pose la
question autrement : N’est-ce pas une chance de disposer de près de
36 000 foyers de démocratie ?
Les pouvoirs qui se sont succédé ces trente dernières
années, ont secrété une idéologie autoritaire dont les volets sont la
technocratie et l’apolitisme. Les listes « apolitiques » d’action
locale pullulent en période électorale. Le phénomène est ancien. Toute prise de
position sur des problèmes politiques serait interdite aux élus municipaux. En
réalité, la gestion municipale est fondamentalement politique. Aujourd’hui, les
communes apparaissent comme des îlots de démocratie dans un océan
d’autoritarisme et, pour ce motif, la gestion municipale est plus politique que
jamais. Lorsqu’une commune s’efforce de satisfaire les besoins de la
population, elle s’oppose à la politique austéritaire du gouvernement
Macron/Philippe, par exemple dans les domaines de la fiscalité, de la
construction sociale, des services publics.
Sincèrement, pouvons-nous imaginer des élus communistes,
des progressistes, des militants associatifs attachés aux valeurs de gauche
faire silence sur la réforme des retraites du gouvernement ? Sincèrement,
peuvent-ils rester silencieux sur la réforme de l’assurance chômage, qui va précariser
davantage nombre de sans-emploi ? Sincèrement, peuvent-ils rester
silencieux sur l’état dans lequel se trouvent les urgences, l’hôpital et les Ehpad ? Sincèrement, peuvent-ils rester silencieux sur la situation de
l’habitat qui exclue des millions de nos concitoyens du droit au
logement ? Sincèrement, peuvent-ils rester silencieux sur le « nuage
de fumée » qui entoure la conversion écologique du Président ?
Aujourd’hui, grandit l’aspiration de nos concitoyens à être
entendus, à compter. Des militants associatifs souhaitent être partie prenante
dans la construction de projets locaux et prendre leur place dans des listes
rassembleuses. Cette réalité se doit, de mon point de vue, d’être prise en compte par les communistes.
Il faut y réfléchir, sans instrumentalisation de la part des formations politiques,
mais aussi sans démagogie anti - partis. Surfer sur cette vague « à la
mode » dont se font les gorges chaudes les « milieux
intéressés » est tout simplement dangereux et suicidaire. Comment imaginer
tourner la page d’une gestion anti-démocratique
sans s’appuyer sur des combats communs, sur les mobilisations
construites année après année par les élu-e-s communistes et
progressistes ? Comment espérer inventer des politiques novatrices sans
s’appuyer sur des élu-e-s connu-e-s, respecté-e-s, expérimenté-e-s et
compétent-e-s.
Sachons faire preuve d’humilité et de lucidité. On ne
pourra vaincre, que grâce à un travail intelligent et convergent des partis
politiques, des associations, des collectifs citoyens, de tous les acteurs de
la ville pour recréer des solidarités, répondre aux défis sociaux, écologiques
et démocratiques, redonner toute leur place aux services publics, reconnaître
la dignité de chacun(e) par le droit au logement pour tous, à la santé à la
culture, au sport. Répondre par un projet ambitieux, porté par des candidat-e-s
qui ont fait leurs preuves, riches de leur diversité, telle est, à mon sens, une des conditions essentielles pour préparer
un nouvel avenir, respectueux de chacun(e). Prenons garde d’oublier cette
leçon, sauf à connaître des lendemains douloureux.
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