Commun(s) « Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin
L’avenir de l’Humanité et sa Fête.
Créance. Les idées ouvrent le chemin qui se
fraie sous nos semelles. Le soleil va s’obstiner durant trois jours, à La Courneuve,
enfonçant ses rayons, brèche après brèche, pavant la terre d’une fraternité à
peine perdue de vue, d’une année l’autre, telle une route qui a depuis
longtemps perdu tous ses secrets. Nous donnerons de la voix à chaque
déplacement, pour soutenir l’existence de l’Humanité. Quel meilleur
lieu que la Fête? Chacun sait que le journal fondé par Jean Jaurès traverse
l’une des crises financières les plus épouvantables de sa longue existence, et
que, dans un mouvement spontané dont il convient d’apprécier l’ampleur avec
gravité et enthousiasme, des centaines et des milliers de témoignages
continuent d’affluer à la rédaction, avec une accélération notable ces derniers
jours, due à la préparation de l’événement. Vous connaissez l’expression: nous
sommes poussés dans le dos. Car cette épique aventure collective nommée l’Humanité ne
nous est pas tombée du ciel. Le bloc-noteur l’a déjà écrit: nous disposons
d’une créance militante, la plus belle que nous puissions imaginer. Une
certaine idée du partage collectif, partant du principe avéré que l’âme du
journal, ses jolis emportements comme ses failles appartiennent à nos lecteurs
et à tous ceux, innombrables, qui le soutiennent par le cœur et l’esprit.
Personne ne s’en sort jamais seul. Les humains se sauvent ensemble ou pas du
tout. Et nous ne sommes pas seuls!
Sacré. Par son attachement
viscéral à «son» journal et ses envies d’en découdre pour le sauver, le peuple
de la Fête le sait mieux que quiconque: notre histoire plus que centenaire,
sans rentrer dans le détail de ses mécomptes (il y en a) et de ses merveilles
(tant et tant), a dans son cœur un pacte avec la durée. Qualifions-la de
temps-long. C’est rare, le temps-long. C’est même sacré. Il s’apparente à une
vaste chaîne d’unions qui dépasse le passé et le présent. Ces mains tenues et
solides constituent l’unité même de l’histoire de l’Humanité, ce « patrimoine
national » qui est tout sauf un musée. Pour s’en rendre compte, il suffit
d’entrevoir l’inimaginable: que le journal de Jaurès puisse disparaître. Et
imaginer – un instant, un instant seulement - la France dépourvue de
ce bien commun, orpheline. Ce serait se taire, ne sachant plus répondre aux
peines et aux alternatives du monde, cesser d’être le couteau bavard des plaies
humaines. Dans ce journal aux multiples facettes qui extasient durant la Fête,
le journalisme n’est pas un testament mais un acte de vie chaque jour recommencé,
un cri de naissance perpétuel qui renvoie au cri de l’homme assassiné.
Liberté. Face à l’écume des jours, face à l’infobésité qui nous submergent heure après heure, face à la domination massive de l’émotivité et à la pensée guidée, entretenue et fouettée par la magie du live et de l’image-son à gogo payés par des milliardaires, jamais, dans notre ère contemporaine, la liberté de la presse libre n’a été à ce point menacée. Cet été, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi du ministre de la Culture concernant la distribution de la presse, taillant en coupes réglées la loi Bichet votée au lendemain de la Libération, porteuse elle-même de l’esprit du programme du Conseil national de la résistance (CNR), qui prônait «la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères, la liberté d’association, de réunion et de manifestation». Dans les toutes prochaines années, la loi du plus riche deviendra la règle. Le temps qui est le nôtre se résume donc d’un mot: combat. La liberté de la presse, selon Robespierre, reste «le plus redoutable fléau du despotisme». Quant à Hugo, il y voyait «la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous».
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