MOBILISATION. LE SOUFFLE DE JEAN JAURÈS POUR RAVIVER LES LUTTES ÉMANCIPATRICES ACTUELLES
Patrick Le Hyaric,
directeur de l’Humanité, a commémoré hier le 105e anniversaire de la mort de
son fondateur. Il a célébré un esprit en phase avec les combats « pour la
grande paix humaine, la liberté de conscience, l’égalité sociale et
politique ».
Il a été la première victime de la Grande Guerre, avant même que celle-ci
soit officiellement déclarée. Il y a 105 ans, Jean Jaurès, l’homme qui dix
ans auparavant fondait l’Humanité, s’effondre dans le Café du Croissant,
victime d’une balle en pleine tête tirée par « un fanatique armé par la
propagande chauvine et guerrière » qui battait alors son plein. Directeur de
journal, député socialiste, pacifiste, Jean Jaurès avait passé la dernière
journée de son existence à plaider, de ministère en cabinet, pour la paix,
« dans la justice et dans l’honneur ». Il s’apprêtait encore à le faire dans
son dernier édito, après une pause bienvenue au Café du Croissant, à deux pas
de la rédaction de l’Humanité. C’est là, peu avant 22 heures, qu’il s’est
effondré, le 31 juillet 1914.
Hier, une assemblée lui rendait hommage, au 146 de la rue Montmartre,
devant l’établissement plus que centenaire. Des gerbes ont été déposées
respectivement par l’Humanité et des élus communistes parisiens. Devant deux
cents personnes rassemblées, le directeur du journal, Patrick Le Hyaric, a
rendu hommage à « la vie et la pensée de Jean Jaurès », dont les écrits et les
combats ont légué « à la France entière et bien au-delà l’héritage flamboyant
et fertile des luttes pour la grande paix humaine, pour la liberté de
conscience, l’égalité sociale et politique ».
Un legs vivant, qui résonne encore aujourd’hui. « Si Jaurès a pu faire
l’objet de toutes les récupérations, jusqu’aux plus absurdes et cyniques » –
des discours de Nicolas Sarkozy aux ignobles affiches du Front national
affirmant que « Jaurès aurait voté FN » –, c’est qu’il a « laissé une trace
indélébile dans les consciences et la mémoire populaires », estime Patrick Le
Hyaric.
Dès 1895, Jaurès
prophétisait ce que serait l’état du monde un siècle plus tard
Car au-delà du journaliste engagé, du député enragé, c’est la voix d’un
visionnaire dont les échos devraient encore inspirer les luttes actuelles. Pour
l’internationalisme et le pacifisme tout d’abord. « Plus d’un siècle après son
assassinat, les analyses de Jaurès résonnent au cœur d’une actualité brûlante
et troublante, de fer et de feux », martelait le directeur de l’Humanité en
égrenant les « guerres de proie », du détroit d’Ormuz à tout le golfe Persique,
en passant par la Chine et la Russie. « Dans ce siècle de concurrence sans
limite et de surproduction, il y a aussi concurrence entre les armées et la
surproduction militaire : l’industrie elle-même étant un combat, la guerre
devient la première, la plus excitée, la plus fiévreuse des industries. » Ainsi,
Jaurès prophétisait, dès 1895, ce que serait l’état du monde un siècle plus
tard. Un monde où « l’intensification de la guerre économique » a produit,
comme il le pressentait, un emballement de l’industrie militaire, note Patrick
Le Hyaric (4,9 % de hausse générale des budgets de l’armement militaire en
2018), et notamment du nucléaire. Malheureusement, trop peu de spectateurs de
la dégradation du monde avancent avec Jaurès que « l’affirmation de la paix est
le plus grand des combats ».
Guerres de religion, guerres d’appropriation des ressources, guerres
commerciales… Patrick Le Hyaric vise les coalitions d’extrême droite et de
droite extrême qui « gagnent partout des positions décisives, accentuant les
guerres commerciales, affaiblissant partout les protections collectives
conquises par le mouvement social et ouvrier ». Aux États-Unis, au Brésil, en
Autriche, en Hongrie, s’intensifie l’exploitation de « deux sources de toute
richesse, note Patrick Le Hyaric : le travail humain et la nature, au point aujourd’hui
de menacer notre humanité commune ». Qu’aurait dit Jean Jaurès à ceux qui
aujourd’hui sacrifient l’avenir de leurs enfants en ouvrant grand les vannes du
commerce international dérégulé ?
Puisque « un peu
d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y
ramène », c’est à la situation de la France qu’a été consacrée la suite. À ce
« retour d’une mémoire révolutionnaire enfouie » qu’est selon le directeur de
l’Humanité le mouvement des gilets jaunes, « élargi au pays entier » dans les
hôpitaux, les écoles, les Ehpad, dans les sites industriels… Une « politique de
défense exclusive des plus riches » appuyée par une répression policière en
augmentation. Mais si Jaurès a laissé « une trace aussi forte que problématique
pour le parti de l’ordre et ses affidés des puissances d’argent », il a aussi
laissé à « tous les militants de l’émancipation humaine » une autre « trace »,
son journal. Son lointain successeur l’affirme : même si « informer en toute
indépendance, en assumant le regard communiste sur l’évolution du monde est
devenu chose ardue », l’Humanité prendra sa place dans la révélation, le
décryptage, l’analyse des politiques libérales et répressives à l’œuvre. Bien
que le journal « traverse à l’heure actuelle une zone de turbulence (réduction
du nombre de salariés, économies drastiques sur notre fonctionnement – NDLR),
nous perpétuons chaque jour et chaque semaine l’œuvre d’informer que Jaurès
considérait avec sagacité comme essentielle au mouvement transformateur ».
Grégory Morin
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