AMÉNAGEMENT. DE LA STRATÉGIE FINANCIÈRE DU BÉTON
La lutte emblématique
menée contre le méga-complexe Europa-City rappelle que ces infrastructures
pullulent en dépit de toute rationalité économique et prise en compte des impacts
écologiques et sociaux. Une bulle spéculative qui pourrait exploser bientôt.
C’était en 2017 : alors candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel
Macron s’était engagé à « mettre un terme à l’artificialisation des terres ».
Une promesse de campagne depuis oubliée. Deux ans plus tard, la bétonisation se
poursuit, à un rythme soutenu, à l’image du méga-complexe de commerces et de
loisirs Europa-City , dans le nord de Paris, que les promoteurs
espèrent ouvrir d’ici à 2027. Mais ce n’est pas un cas isolé. Partout, les
zones commerciales, ces oriflammes de la « France moche », défigurent le
pourtour des agglomérations.
Selon la Fédération du commerce spécialisé, plus de 3,2 millions de mètres
carrés de surface de vente ont été réalisés en 2018. Pour 2019, pas moins de
2,9 millions de mètres carrés sont prévus. « Si l’habitat individuel constitue
la première cause d’artificialisation, (…) la croissance des zones d’activités
périphériques constitue une part importante du phénomène, confirme Alice
Colsaet, doctorante en économie à l’Institut du développement durable et des
relations internationales (Iddri) et auteure d’une étude sur le sujet publiée
en janvier. Ces zones connaissent même un développement plus rapide que les
autres, alors qu’elles soulèvent de nombreuses interrogations concernant leur
impact écologique et leur intérêt pour le développement territorial. »
De fait, la prolifération de ces projets contribue à la destruction des
terres agricoles, à la pollution atmosphérique, à la faillite des commerces de
proximité, sans parler de la précarisation de l’emploi. Et si la vacance
commerciale des centres - villes atteignait 11 % en 2017, contre 7,2 % en 2012
et 9,5 % en 2015, le phénomène touche désormais les grandes surfaces
commerciales : on y dénombrait 10,78 % de boutiques vides en 2018, contre 9,97
% en 2016.
Un business florissant
et hyper lucratif
Pour autant, l’appétit des promoteurs immobiliers reste intact alors même
que ces temples de la consommation sont pointés du doigt. Pourquoi ? Le
profit ! Les acteurs du secteur l’ont bien compris : ils achètent des terres
agricoles pas chères, rendent les terrains constructibles, y bâtissent un
centre et vendent ou louent les surfaces disponibles aux commerçants. La valeur
du terrain peut être multipliée par mille ! « C’est un secteur économique
lucratif, qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros par an », évalue
Stéphen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement. Et qui plus
est, encouragé par les pouvoirs publics !
Depuis des années, l’arsenal réglementaire pour limiter ces abus a été
affaibli, notamment depuis la loi de modernisation de l’économie de 2008 :
celle-ci a relevé de 300 à 1 000 m2 le seuil au-delà duquel une autorisation
administrative est nécessaire pour ouvrir ou agrandir de nouvelles surfaces de
vente. Et même pour les centres de plus de 1 000 m2, l’autorisation est quasi systématiquement
accordée ; les élus locaux, qui composent les commissions départementales
d’aménagement commercial (CDAC), contestant rarement ces projets qui leur
promettent moult retombées fiscales… Le soutien du maire de Gonesse, à Europa-City
en est l’illustration. Dans cette commune sinistrée par le chômage, l’argument
de la création d’emplois a suffi pour légitimer ce projet à 3 milliards
d’euros !
« Ces dix dernières années, la Commission nationale d’aménagement
commercial a donné entre 89 et 91 % d’autorisations », indique Stéphen
Kerckhove, qui pointe un « manque de transparence ». « Cette gouvernance
institutionnalisée, qui a écarté la société civile, accorde des autorisations
sans aucune rationalité économique. Qu’importe les impacts sociaux, économiques
ou écologiques. »
Des moyens pour
freiner l’artificialisation mais…
Pourtant, depuis 2010, la lutte contre l’artificialisation est devenue un
objectif intégré dans les documents d’urbanisme. « Les politiques se heurtent à
plusieurs problèmes, qui peuvent se cumuler, observe Alice Colsaet : un recours
insuffisant aux outils existants, des textes réglementaires facultatifs. » Face
à cette catastrophe annoncée, les opposants à ces constructions appellent à un
moratoire. « C’est une nécessité pour l’agriculture, la biodiversité, le
climat, assène Stéphen Kerckhove. Quand, même dans ces zones, les boutiques
ferment, cela signifie qu’il y en a trop. On est dans une fuite en avant. » Et
de prévenir : « On a une bulle spéculative immobilière qui s’est formée et qui
risque d’éclater. »
Malgré les alertes, le gouvernement fait la sourde oreille. « À la question
posée, sur l’avenir d’Europa-City, le gouvernement répond qu’il faut un travail
interministériel. Il ne répond en rien car le sujet les embête », constate Fabien
Gay, sénateur communiste. L’an dernier, malgré des objectifs affichés de
réduction de l’artificialisation, ce même gouvernement s’est prononcé contre
l’idée d’un moratoire, portant pour une enveloppe de 5 milliards d’euros pour
revitaliser les centres - villes. Du vent, déplore Bernard Loup, le
porte-parole du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG). « Dans le
Val-d’Oise, les deux communes qui bénéficient de cette aide ont toutes les deux
un projet de centre commercial. On finance des villes qui détruisent le petit
commerce. » Même absence de volonté quant à l’objectif de « zéro
artificialisation nette » inscrit dans le plan Biodiversité de 2018, pointe
Alice Colsaet : « Il n’y a pas de date, ni de trajectoire. Cela se résume à de
grands objectifs, sans moyens. » On comprend mieux l’obstination de Bernard
Loup à pousser le gouvernement à prendre « une décision politique forte de
renoncement à l’urbanisation du Triangle de Gonesse ».
Alexandra Chaignon
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