« Au-delà des étoiles », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité de ce jour !
Dans
« Un singe en hiver », Jean Gabin avait l’habitude de laisser vaguer
son imagination embrumée par l’alcool sur les rives du Yangsi Jiang. À l’image
de cette délicieuse obsession, toute une génération de Français, soyons en
sûrs, laisseront souvent planer leurs songes le long de la Moskova, à deux pas
du stade Loujniki, où les bleus, d’une superbe victoire face aux Croates, ont
décroché dimanche 15 juillet la deuxième coupe du monde de leur histoire. Pogba,
Mbappé, Griezmann… désormais, ces noms sont inscrits au panthéon du sport, et
fêtés, aux quatre coins d’une France chavirée de bonheur.
Beaucoup
diront que cette magnifique victoire, passé les effusions de joies, n’offrira
rien d’autre qu’un sentiment de fierté bon enfant et des envies de fraternité
éphémères. Ce n’est pas faux. Mais, face à l’engouement de tout un peuple, on
se prend aussi à espérer. Certes, les illusions de 1998 et son « black,
blanc, beur » sans lendemain ont montré que la parenthèse ludique d’un
Mondial ne réduit pas, à elles seules, les fractures d’une société minée par
les inégalités. Mais cela ne veut pas dire, non plus, qu’on doit se condamner
au cynisme impuissant. La fabuleux destin de cette équipe, où brillent l’esprit
collectif et une multitude de gamins nés dans les banlieues populaires, restera
comme un savoureux pied de nez à l’air du temps. À l’heure où les discours
xénophobes fleurissent, ce sont les enfants d’immigrés qui portent haut les
couleurs du pays. À l’heure où certains font l’éloge des premiers de cordée, c’est
bien la solidarité du groupe qui a gagné. À l’heure où le gouvernement enterre
un ambitieux « plan banlieues » et néglige le sport amateur, c’est
bien de ces territoires méprisés qu’ont surgi les héros en short d’aujourd’hui.
Reçus
à l’Élysée cet après-midi par Emmanuel Macron, les joueurs ne porteront pas qu’une
coupe du monde à la main et une seconde étoile sur le maillot bleu. Mais symboliseront
aussi, et ce n’est pas la moindre de leur victoire, cette exigence posée au
pouvoir politique de faire vivre l’apogée de 2018 au-delà des terrains de
football.
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