« Trump et Netanyahou ont pris en otage la question israélo-palestinienne » (Interview de Leïla Shahid, lue dans l’Humanité de ce jour)
Ancienne
ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid dénonce
la collusion entre Trump et Netanyahou, et regrette le peu de poids des
européens.
Quel
est le but ultime recherché par Donald Trump avec ce plan ?
LEÏLA
SHAHID : Nous assistons à une mascarade rarement vue dans la politique
internationale, entre deux hommes qui sont en train de couler. Trump fait face
à une enquête qui pourrait lui coûter très cher pour entreprendre un deuxième
mandat. Netanyahou est à quelques semaines d’une élection et espère, en
annonçant un soi-disant plan de paix, prendre le pas sur son adversaire, Benny
Gantz. Il est assez effrayant de voir comment la paix et la stabilité dans le
monde dépendent de deux hommes qui sont comme des chiens enragés pour rester au
pouvoir. Ils ont pris en otage la question israélo-palestinienne. Il est
tragique de voir comment les puissances dans le monde, à commencer par l’Union
européenne, n’arrivent pas à compter face à cette immense manipulation. Ce
« plan de paix », dont on parle depuis trois ans, est soudainement
révélé le jour même où le Sénat américain doit statuer sur Trump et la Knesset
sur Netanyahou. Il ne faut pas être naïf.
Ce
qu’ils proposent, d’ailleurs, ne correspond qu’à ce qui peut leur rapporter des
voix afin de rester au pouvoir. Ce faisant, nous assistons à la décomposition
des relations internationales. Nous payons également la fracture de la division
de l’Union européenne. Comment peut-on proposer un accord en l’absence des
parties principales, la partie palestinienne ? Il n’y a même pas une
partie arabe. Ceux qui ont assisté en juin, au Bahreïn, à la première phase du
plan, la phase économique, ne représentent que leur pays et ils n’ont parlé que
d’argent. Le conflit israélo-palestinien a toujours été au cœur de ce qui se passe en Méditerranée. Jamais çà
n’a été aussi clair qu’aujourd’hui. Mais ils ont fabriqué un ennemi fictif qui
s’appelle l’Iran et sont prêts à susciter un nouveau conflit.
Depuis
que ce plan est évoqué, Trump n’a jamais parlé d’un État palestinien. Qu’est-ce
qu’il faut comprendre ?
LEÏLA SHAHID : S’il devait y avoir un État
palestinien, Donald Trump n’aurait pas déclaré que Jérusalem est la capitale de
l’État d’Israël, il n’aurait pas annulé les résolutions concernant les
réfugiés, il n’aurait pas arrêté l’aide aux Palestiniens, il n’aurait pas fermé
l’ambassade de Palestine à Washington. Il n’aurait pas soutenu Israël
uniquement comme l’État du peuple juif. C’est pour cela que le président Abbas
ne parle pas à Trump et à Netanyahou depuis plus d’un an et demi.
Ils auront beaucoup de mal à faire adopter ce plan. Ils
seront surpris. Pas seulement par les Palestiniens, pour qui il est hors de
question d’accepter un tel plan et qui retrouveront peut-être leur unité. Et çà
va redonner du tonus à ceux qui, dans le monde arabe, défendent leur dignité,
comme les Libanais, les Algériens, ou les Irakiens qui se lèvent pour réclamer
leurs droits.
Ce plan est une tentative pour revenir à l’annexion totale
des territoires palestiniens, exclure la question des réfugiés et celle de
Jérusalem. Mais cela va plus loin. Ils cherchent à dire ainsi que l’État des
Palestiniens est en Jordanie. C’est pour cela qu’Abdallah II, le roi jordanien,
est en tournée actuellement. Il met en garde sur les conséquences pour le
royaume hachémite dont on voudrait faire l’alternative à un État palestinien.
Il est évident que cela ne marchera pas. Mais cela va aggraver la
déstabilisation de la région. Ils prennent en otage la partie la plus faible,
qui est sous occupation militaire.
Quelle la marge de manœuvre des palestiniens ?
LEÏLA SHAHID : Elle n’est plus d’ordre diplomatique
pour une bonne et simple raison qu’il n’y a plus de diplomatie au
Proche-Orient. Ni chez les Palestiniens, ni chez les Égyptiens, ni chez les
Jordaniens. Depuis que Donald Trump est arrivé au pouvoir, il a détruit tout ce
qu’on appelle les termes de référence des négociations de paix qui ont commencé
en 1993. Cela fait vingt-sept ans que nous essayons de discuter. Mais il est
évident qu’il n’y a aucune négociation de paix. Ce qui est nouveau est que le
premier ministre israélien a avec lui un président américain qui se fiche du
droit international, de l’équilibre international, de la paix. Nous sommes dans
un monde de brutes, un monde qui a perdu ses repères.
Les Palestiniens se battent depuis un siècle. Ils ne se
font pas d’illusions. Le monde arabe a été scindé en deux avec la défection de
l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et du Bahreïn, à cause du conflit
avec l’Iran, qui se retrouvent alliés aux Israéliens. Il y a une situation de
guerre civile provoquée par les américains avec l’occupation de l’Irak en 2003
qui a abouti à la décomposition de ce pays. C’est également le cas de la Syrie.
Je redoute ce qui peut se passer au Liban. Sans parler de la Lybie et du Yémen.
Les pays arabes ont été collectivement en faveur des Palestiniens et de leurs
droits. Ce monde arabe est décomposé.
Après un siècle de luttes, je ne pense pas qu’un an ou deux
de plus ou de moins vont changer quelque chose. Nous sommes arrivés au bout
d’une approche de négociations directes. Les accords d’Oslo sont morts depuis
longtemps, malheureusement. L’Union européenne était une alternative à la super
- puissance américaine. Aujourd’hui, il n’y a même plus ce minimum d’accord qui
existait auparavant entre Washington et Bruxelles. Il faut donc que les
Palestiniens retrouvent leur capacité à rester sur leur territoire, d’être
résilients et de continuer à être ouverts, c’est-à-dire proposer une
coexistence avec Israël mais sur des bases claires : un État qu’Israël
respectera. Ce qui est loin d’être l’idéologie de ceux qui gouvernent Israël
aujourd’hui.
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