Réformistes ou réformateurs ? Les mots piégés… (Tribune de Charles Sylvestre dans l’Humanité de ce jour !)
Donc
la France se diviserait entre syndicats réformistes et…et quoi
exactement ? Des syndicats révolutionnaires ? Mais c’est difficile de
faire passer Force ouvrière ou la Confédération générale des cadres pour des
organisations prêtes à renverser l’ordre social. Alors, on a trouvé : les
syndicats réformistes veulent bien discuter, tandis que les autres ne veulent
rien entendre ; aux dernières nouvelles, les premiers seraient des
progressistes et les seconds, des jusqu’au-boutistes. Avec çà, la science sociale,
à l’ère macronienne, avance à grands pas !
Il
va falloir attirer l’attention des experts et commentateurs des conflits
sociaux en cours qui reprennent ce vocabulaire simpliste sur quelques épisodes
de l’histoire contemporaine légèrement plus complexes en matière de réforme et
de classement des rôles joués par les uns et les autres. Le 23 avril 1919, le
gouvernement Clemenceau, effrayé à l’idée d’une grève générale qui se profile,
fait adopter par le Parlement la journée de travail de 8 heures. Le mot d’ordre
a été lancé à Londres, en 1864, par le congrès de l’Association internationale
des travailleurs, où siège un certain Karl Marx. En France, en 1919, le
syndicalisme est alors regroupé dans la Confédération générale du travail
(CGT), où se trouvaient à l’évidence des « réformistes » et des
« révolutionnaires ». En juin 1936, la semaine de 40 heures est
adoptée avec les deux semaines de congés payés. Le syndicalisme est divisé
jusque-là entre majoritaires (CGT), les « réformistes » de l’époque,
et les unitaires (CGTU). Les « révolutionnaires » du moment. Mais, en
mars, à la veille de la grève la CGT est réunifiée.
Les
deux tendances du mouvement ouvrier, ceux qui « discutent » (des
modalités) et ceux qui « ne voulaient rien entendre » (de ce qui leur
était proposé), se sont retrouvées dans cette réforme historique du Front
populaire. En 1945, la loi créant la sécurité sociale est adoptée avec ses
branches maladie, famille, vieillesse. Le ministre du Travail, Ambroise
Croizat, est un ouvrier métallurgiste, syndicaliste, communiste. Ces trois
qualités en figurent un socle. Dans le vote se retrouvent à nouveau des
« révolutionnaires », des « réformistes » et des partisans
du général de Gaulle. Un élan national, sorti de la Résistance, n’était pas de
trop pour pareille loi de civilisation. Le projet actuel est, à cet égard, un
projet de pure réaction.
Le
mot « réformiste » est un mot piégé. Le « réformiste » est
censé vouloir la réforme par principe, quelle qu’elle soit ; celui qui ne
l’est pas, ou dont il a été décrété qu’il ne l’était pas, la refuserait encore
par principe, et quelle qu’elle soit. Le mot le plus juste, à l’usage, n’est
pas celui de réformiste mais celui de réformateur. Le premier est une attitude,
le second une action. Jaurès a réglé son compte à cette dualité trompeuse. Au
congrès socialiste de 1908, à Toulouse, sa motion, qui fait la,
quasi-unanimité, affirme deux choses capitales et complémentaires :
« Le Parti socialiste est un Parti de révolution », et « c’est
parce qu’il est un parti de révolution qu’il est le plus essentiellement
réformateur ». Les trois épisodes de 1919, 1936 et 1945 sont de cette
veine qui, visiblement, na’ pas dit son dernier mot.
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