« LE DOUTE », L’ÉDITORIAL DE JEAN-EMMANUEL DUCOIN DANS L'HUMANITE DU JEUDI 6 SEPTEMBRE
Les grandes décisions régaliennes ne se prennent jamais à la légère.
Surtout quand il s’agit de nos impôts, l’une des prérogatives sacrées de l’État
républicain. Le psychodrame politique auquel nous avons assisté concernant le
prélèvement à la source n’a rien d’anecdotique. Il est même essentiel et
témoigne de l’ampleur du trou d’air qui frappe l’exécutif. L’affaire a donc été
tranchée par le président. Fin de la cacophonie, peut-être. Fin des
inquiétudes, sûrement pas. Car cette réforme à haut risque, qui s’inscrit dans
les canons de Macron bien qu’elle ait été initiée par son prédécesseur, possède
désormais une double particularité : elle est à la fois synonyme de dangers et
de doutes. Dangers, dans ses logiques mêmes. Doutes, dans la tête des citoyens
contribuables, dont on mesure mal les effets psychologiques.
« Modernisation » et « simplification » sont les maîtres mots des
thuriféraires de ce big bang fiscal aux vices cachés. Contrairement aux
affirmations gouvernementales, le prélèvement à la source n’apportera aucune
efficacité supplémentaire quant au recouvrement de l’impôt sur le revenu,
celui-ci étant recouvré à hauteur de 99 % par l’administration, dont près de 70
% au moyen des prélèvements mensuels. Mais il y a plus grave, car cela touche
aux principes d’organisation de la société républicaine : c’est à l’État de
lever l’impôt. Voulez-vous vraiment que votre employeur devienne votre
percepteur, avec des risques de rétention ou de fraude, et ait accès, de
surcroît, à vos données personnelles ? Ce ne sera rien d’autre qu’une
privatisation de la mission publique de recouvrement. S’en suivra une probable
fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, ce
qui pourrait, mettre en péril la progressivité de l’impôt. Rappelons aux
oublieux que les services de la direction générale des finances publiques ont
perdu plus de 30 000 emplois en dix ans ; d’autres sont déjà programmés. Et
pendant ce temps-là ? Toujours, aucune annonce afin de lutter contre l’évasion
fiscale, qui prive les comptes publics d’environ 80 milliards d’euros…
Par Jean-Emmanuel
Ducoin
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