Pour une vision non sélective de l'histoire (Robert Clément)
Pour une vision non sélective de
l’histoire! (Robert Clément)
Pierre KÉRAUTRET, élu maire de
notre ville en 1935 est mort le 11 janvier 1967. Il y a 50 ans. Cette page
d’histoire, méritait, à mon sens, d’être rappelée, car elle ouvrait la voie à
la construction d’une ville rompant avec la politique qui avait été celle de la
droite durant 23 années. C’est au nom du travail de mémoire, que j’ai adressé
un courrier à Madame Corinne VALLS, le 12 décembre dernier, accompagné d’un
texte, dont vous pouvez prendre connaissance ci-dessous (*)
Aucune réponse ne m’a été
adressée. Comme vous, je l’ai découverte dans le magazine de ce mois. Entre un
rectificatif concernant le Conseil municipal de novembre et l’enlèvement des
encombrants, quelques lignes, 300 signes exactement, y sont consacrées.
Je vous livre le sentiment que
m’inspire le comportement, difficilement compréhensible, de la première
magistrate de notre ville. Notre histoire commune devrait à mon sens, comme
pour toutes celles et ceux qui y sont attachés, être traitée en toute équité.
Les élu-e-s de la République se doivent d’être porteurs d’une totale
impartialité lorsqu’il s’agit de saluer des générations d’hommes et de femmes
qui ont apporté leur générosité, leur désintéressement, leur imagination à la
construction de leur ville. Les valeurs de la République sont incompatibles
avec une vision sélective de l’histoire. Le souvenir de ce que nous devons à
notre passé commun, à ce qui constitue le noyau de nous-mêmes s’efface alors
pour prendre les colorations d’une dangereuse partialité. Faudrait-il oublier
ce qui gêne ou dérange ?
L’histoire est l’un des piliers
sur lesquels repose l’identité d’une collectivité, d’une nation. On ne peut
aborder l’avenir avec un passé fabriqué de nulle part. La véracité de
l’évènement dans la méthode d’enseignement sont seuls capables d’instruire et
d’éduquer les nouvelles générations qui aborderont l’avenir avec une bonne
connaissance de leur passé, car, comme l’a écrit Honoré de Balzac « pour
l’homme, le passé ressemble singulièrement à l’avenir. Lui raconter ce qui fut,
n’est-ce pas presque toujours lui dire ce qu’il sera ? »
Mon courrier aura eu, au moins, un
mérite : voir apparaître le nom de Pierre KÉRAUTRET dans le magazine
municipal. Ce propos n’est pas excessif. Pour preuve. En juillet 2009, Georges
VALBON nous quittait. Outre le fait qu’il a présidé aux destinées du
Département de la Seine-Saint-Denis depuis sa création en 1967, jusqu’en 1993,
il fut aux côtés de David ROSENFELD, l’un de ceux qui participa à la libération
de Romainville, le 19 août 1944. Et pourtant le décès de Georges VALBON n’a pas
mérité la moindre information dans la publication municipale.
Le 25 novembre 2009, c’est Léon
MÉRINO qui nous quittait. Il a été élu en 1971, il le restera jusqu’en 1983,
après avoir assumé durant douze années la responsabilité de premier maire-
adjoint auprès de Gérard MACHELART. Il est élu Conseiller général de 1967 à
1985. Président de l’OPH, il a habité pendant une trentaine d’années la Cité
Marcel CACHIN. Pourtant, pas une ligne ne lui sera consacrée dans le magazine
municipal.
Le 28 septembre 2010, nous
apprenions le décès de Gérard MACHELART, Maire honoraire. Élu conseiller
municipal en 1953, en même temps qu’Albert GIRY, il devient, en 1959, le
premier adjoint de Pierre KÉRAUTRET, à qui il succède en 1966. Il le restera
jusqu’en 1980. Il jouera un rôle essentiel dans la construction de logements,
d’équipements sportifs et culturels. Et pourtant pas un seul mot dans le
mensuel d’informations municipales.
En 2003, le nom de Pierre
KÉRAUTRET sera enseveli sous les décombres de la résidence logements, le foyer qui
portait son nom. Il est heureux qu’au milieu des années 1980, l’avenue de
Brazza, fut débaptisée pour lui donner le nom de Pierre KÉRAUTRET. Sinon il ne
resterait qu’un buste, dans le square de la Mairie.
Je ne suis pas orphelin des temps
passés. J’estime cependant, que vivre le passé, le reconstituer, répond aux
besoins de comprendre mais aussi de maîtriser les choses, parce qu’avec le
passé, on connaît la fin de l’histoire, tout simplement ! Une pensée ne se
construit pas à partir de rien, sans héritage préalable. La connaissance de
l’histoire est indispensable à toute émancipation, à toute liberté qui sait
s’affranchir de la répétition.
Je ne prétends pas que l’actuelle
municipalité soit absente du nécessaire travail de mémoire. Je lui reproche
« son deux poids, deux mesures », sa vision sélective, qui en devient
suspecte. J’en terminerai en portant à votre connaissance un fait confirmant ce
jugement. Il s’agit du propos de Monsieur le Maire-adjoint à l’aménagement, tenu récemment :
« Suite à une
rencontre avec l'arrière-arrière petit fils de Émile Genevoix qui fut maire de
Romainville pendant 21 ans, en 1867, Républicain convaincu, qui aura la rude
tâche de reconstruire Romainville, après son amputation de la ville des Lilas,
en pleine guerre et occupation des prussiens!
Gabriel Husson dira de lui qu'il fut le meilleur maire de l'époque !
Gabriel Husson dira de lui qu'il fut le meilleur maire de l'époque !
Nous organiserons avec son arrière-arrière petit fils une
exposition en mairie, sur sa vie, son engagement d'homme public à l'automne
2017 »
Pourquoi pas ! Mais Pierre KÉRAUTRET était aussi un
républicain, Monsieur Champion ! Tout est dit !
*************************
(*) Courrier et texte adressés à
Madame Corinne VALLS
Romainville le 12 décembre 2016
Madame la Maire,
Il y aura 50 ans, le 11 janvier
1967, Pierre KÉRAUTRET nous quittait. Je ne crois pas utile de rappeler le rôle
qui fut le sien à partir de 1935 et après la libération de notre ville. Dans
les conditions de l’époque, il contribua avec courage et désintéressement à
sortir notre ville de l’incurie où l’avait plongé la droite de 1909 à 1934.
Parce que j’estime nécessaire, comme vous je pense, de rendre hommage à ces
femmes et ces hommes qui ont écrit
quelques belles pages de notre histoire, la municipalité que vous dirigez,
s’honorerait de s’y associer. À ce titre je me permets de vous adresser ce
texte, qui pourrait, tout ou partie, trouver sa place dans le magazine de
janvier. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à ma demande, je
vous prie d’agréer, Madame la Maire, l’expression de mes salutations
distinguées.
Robert Clément
« Je me souviens, c’était le
11 janvier 1967. Pierre KÉRAUTRET venait d’être emporté par la maladie, dont sa
famille, ses ami-e-s et ses camarades en connaissaient l’issue fatale.
Quelques jours après, une foule
immense rendait hommage, à cet homme, bon et simple que d’aucuns appelaient
familièrement Pierre. Ces centaines de femmes, d’hommes et de jeunes, venaient
de perdre l’un des leurs, celui qui jusqu’au bout sera resté fidèle à la
défense de leurs intérêts. Pierre était un homme de conviction, honnête et
généreux. Dans ses engagements, il a témoigné d’un courage et d’une
détermination sans faille. Sa capacité à être à l’écoute de chacun(e), disponible
à l’égard de tous était unanimement reconnue. Ses coups de colères, souvent
justifiés, marquaient aussi sa personnalité. Son côté, parfois bougon, cachait
mal une grande sensibilité.
Évoquer le souvenir de Pierre
KÉRAUTRET, c’est tourner quelques pages de l’histoire de notre ville. Des pages
exigeantes, douloureuses parfois, mais joyeuses et belles aussi. Des pages qui
marquent une rupture avec les dégâts causés par l’incurie de la précédente
municipalité de droite qui aura régné de 1909 à 1934. L’année1935 signe le
début de la construction d’une ville digne de ce nom où le progrès humain sera
au cœur de toutes les politiques.
Tout commence en 1934, lorsqu’à
l’occasion d’une élection complémentaire, pour remplacer le maire déchu de ses
droits civiques, quatre conseillers municipaux communistes « mettent les
pieds » à la mairie. Ce fut une surprise pour ceux que l’on désignait
alors, sous le nom des « vielles familles de Romainville ». Cette
élection se confirmera le 12 mai 1935 par la victoire de la liste du « bloc ouvrier et paysan »,
présentée par le Parti communiste Français et conduite par Pierre KÉRAUTRET.
Je comprends qu’il soit difficile
d’imaginer pour les générations d’aujourd’hui ce qu’était notre cité, il y a 80
ans. C’est mon âge, à deux ans près !
Pierre KÉRAUTRET en parlait
ainsi : « Le budget était en déficit. Les services communaux étaient
dans un état lamentable, tout ou presque restait à faire dans la voirie
communale. Les écoles insuffisantes ne comportaient ni maternelle, ni cours complémentaire
ou technique. Pas de dispensaire, pas de bains-douches, pas de consultations de
nourrissons, pas d’office public du logement. L’équipement sportif était nul…
La caisse des écoles n’avait pas grande activité. L’absence d’une politique
d’urbanisme a livré la cité aux spéculateurs (déjà). Ils ont laissé couper,
morceler des terrains de culture pour les transformer en terrains à bâtir, sans
aucun souci de l’agglomération future et des besoins des travailleurs qui
allaient habiter des taudis sans commodité.
Pour couronner cette situation lamentable, nous avions le triste privilège
d’avoir dans notre commune le plus fort pourcentage de chômeurs du département
(*). Nous en avons totalisé jusqu’à 2300. »
En 1936, était inauguré le
dispensaire « Louise Michel ». En 1937, 300 enfants passent leurs
vacances au Château du BOSGOUET acquis par la municipalité. En 1939, le groupe
scolaire Barbusse sort de terre. Cette même année, la municipalité acquiert le
pavillon de la Pologne, devenu le Palais des fêtes. Septembre 1939, les
conseillers municipaux sont destitués et une délégation spéciale est mise en
place. La collaboration s’installe, mais la résistance s’organise. Pierre
KÉRAUTRET, y participera activement en région parisienne et en Bretagne. Après
la libération de Romainville une municipalité composée d’anciens élus et
représentants des mouvements de résistance administrent à nouveau la commune,
avec Pierre KÉRAUTRET à sa tête. Il sera confirmé dans sa fonction de premier
magistrat en 1945, puis en 1947. Il le restera jusqu’au 30 octobre 1966. Il
avait alors demandé de ne plus assumer
sa responsabilité en raison de son état de santé. Il passera le relais à Gérard
MACHELART.
Au lendemain de la libération
tout était à refaire. La tâche était immense.
C’est devant ce bilan de faillite
que l’équipe municipale se remet au travail. La première école maternelle
(Casanova) sera inaugurée ainsi que le stade Stalingrad. Bien d’autres
réalisations suivront. Cependant ce qui marquera cette période de l’après guerre,
c’est l’état dans lequel se trouvait l’habitat. Des maisons avaient été
édifiées un peu partout. La plupart en matériaux légers et une bonne partie en
bois. Une enquête révélait qu’il existait à Romainville 16 îlots insalubres,
sans eau, sans gaz, sans électricité, sans assainissement. La première des
obligations étaient donc de sortir ces milliers de familles de ces infâmes
taudis. L’un des objectifs majeurs que se fixa Pierre KÉRAUTRET et son équipe
fut d’agir pour la création d’un OPHLM. Il sera créé le 22 juin 1954.
De 1954 à 1967, la cité des
Mares, les cités Jean Jaurès, Paul Langevin, Marcel Cachin, Maurice Thorez,
Parat, Radoub et l’Amitié verront le jour. La joie éclairait les visages de ces
familles, quittant leur taudis, leurs baraques sans eau, sans sanitaire pour
rejoindre leur « Palace ». C’est grâce à des hommes comme Pierre
KÉRAUTRET que des milliers de femmes, d’hommes et de jeunes ont pu retrouver le
« droit de vivre ». L’enfance a été l’une des priorités de l’action
municipale. Au lendemain de la guerre, le Département de la Seine s’est engagé
avec détermination dans la construction de crèches départementales. Le
conseiller général, Pierre KÉRAUTRET y contribua puisque cinq furent édifiées
dans notre ville. La crèche Barbusse fut la première à être inaugurée en 1952.
En écrivant ces lignes je pensais
à ces jeunes, à ces nouveaux arrivants qui ont fait le choix de venir résider
dans notre cité. Combien sont-ils à avoir emprunté l’avenue Pierre KÉRAUTRET en
se demandant ce que pouvait avoir fait cet homme pour mériter qu’une voie porte
son nom ? Ce morceau d’histoire de notre ville devrait, je crois, nous inciter à agir contre l’oubli, à traiter
avec attention, objectivité et rigueur la transmission de la mémoire et des
connaissances, et particulièrement le parcours de ces femmes et de ces hommes,
qui dans les conditions de leur époque, ont contribué à faire de notre ville ce
qu’elle est devenue aujourd’hui.
Une ville c’est un lieu
qu’habitent des êtres humains qui, au fil des ans, la construisent, la chargent
d’histoire et de mémoire, d’émotions et de perceptions. Une ville fait sens.
Mais elle fait sens différemment, selon les époques, selon les générations,
selon le regard qu’on lui porte, selon l’humeur avec laquelle on l’aborde. Reconnaître
l’histoire, c’est reconnaître que nous sommes partie intégrante d’une chaîne et
que notre monde existait avant nous et qu’il existera après. L’histoire est le
cœur de nos vies. Elle n’a de sens que lorsqu’elle permet de construire
l’avenir ».
* Celui de la Seine à l’époque
1 Comentário:
Je partage tout à fait. Et je me souviens,par ex, de la réticence pour ne pas dire plus de ta municipalité à donner le nom de ma grand-mère Jeanne Gallèpe à une école maternelle. Et de son inauguration en quasi catimini. Remarque que ça ne sest pas arrangé : ni à l école ni à la mairie il ne savent qui elle était. ... JP Gallèpe
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