« Le don et l’impôt », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité de ce jour !
C’est
l’un des paradoxes du moment. Dans ce point de bascule entre chien et loup, où
même le président de la République se montre économe en certitudes sur ce qui
subsistera du « monde d’avant » dans le « jour d’après »,
se dégagent plus nettement encore qu’auparavant les quelques principes
inamovibles sur lesquels le gouvernement a réglé son action, et qu’il n’entend
pas jeter aux orties malgré la pire pandémie du siècle.
Parmi
ceux-ci, le stupéfiant épisode de « l’appel aux dons » du ministre
de l’Action et des Comptes publics pour
financer « l’effort national » jette une lumière crue sur le
véritable culte que ce gouvernement voue à la propriété privée – celle des plus
riches, la précision va de soi. Comment expliquer, sinon, le choix de s’en
remettre à une générosité incomparablement plus aléatoire, moins efficace et
moins juste que l’impôt – c’est bien pour cela qu’il a été inventé –, plutôt que
de revenir, même temporairement, même partiellement, sur la suppression de l’impôt
de solidarité sur la fortune (ISF) décidée au début du quinquennat . Et cela,
alors même que cet appel aux dons est en
soi l’aveu du besoin urgent et vital des ressources dont on s’est privé. Tout au
sommet de l’échelle des valeurs de ce gouvernement la défense du bien des
riches prime donc en toutes circonstance sur les buts sociaux les plus précieux :
la santé publique, la satisfaction des besoins essentiels ou même la relance d’une
économie sinistrée comme jamais.
Les mêmes
qui n’hésitent pas à nous bercer de promesses de nationalisations à venir de « nouveau
capitalisme » à visage humain n’ont pas les mêmes audaces verbales quand
il s’agit de parler de gros sous. Pendant qu’on « nationalise » en
paroles seulement, l’action publique s’en remet dans les faits aux caprices de
la volonté privée. Avec cet argent soustrait à l’impôt, la boucle est bouclée. C’est
le stade suprême de la privatisation. Et celui, aussi de la comédie du « changement »
jouée par ceux qui ont intérêt à ce que rien, au fond, ne change vraiment, comme
dans le Guépard, de Lampedusa.
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