Entretien avec Pierre Laurent paru dans l'Humanité du jeudi 14 septembre !
Pierre LAURENT : « NOUS
SOMMES DANS UNE NOUVELLE PHASE DE LA CONFRONTATION DE CLASSES »
ENTRETIEN
Les premières mobilisations
contre la loi travail mardi ont réuni 400 000 personnes. Suffisent-elles à
contester Emmanuel Macron la légitimité des ordonnances ?
PIERRE LAURENT : C’est en
tout cas un démenti cinglant à la propagande gouvernementale sur le prétendu
bon accueil des ordonnances. L’ampleur des manifestations – supérieure à celle
qui avait entamé le mouvement contre la loi El Khomri, – le débat qui traverse
les confédérations syndicales qui n’y ont pas encore appelé, les sondages qui
témoignent d’une opposition majoritaire…Tous les indicateurs montrent que le
pouvoir n’a aucune légitimité pour passer en force. Il a été élu, certes. Mais
nous sommes en démocratie, et si une opposition majoritaire s’exprime, il doit
en tenir compte.
Le gouvernement maintient
pourtant que les « manifestations n’ont pas vocation à changer le contenu
des ordonnances ». Après la loi d’habilitation, la validation par le Conseil
constitutionnel, quelles marges de manœuvre reste-t-il ?
PIERRE LAURENT : On a déjà
vu des gouvernements affirmer qu’ils ne bougeraient pas et être obligés de
reculer. La publication complète du texte à la fin de l’été a changé le climat
en quelques jours : désormais chacun peut juger sur pièces. De plus en
plus de gens prennent conscience que, loin de faire reculer le chômage, les
ordonnances vont uniquement déboucher sur une explosion de la précarité et un
gonflement des profits des plus grands groupes. Elles ne protègent même pas les
PME, encore moins les salariés qu’elles fragilisent encore plus. Il faut
imposer au gouvernement le débat contradictoire dont il veut priver le pays sur
les alternatives à ces choix réactionnaires. Le porte-parole du gouvernement
dit : non aux postures, oui au débat de fond. Mais où et quand
acceptera-t-il la confrontation démocratique sur le fond, projet contre
projet ?
Quelles sont les prochaines
étapes pour le PCF ?
PIERRE LAURENT : Nous allons
appuyer les forces syndicales qui prévoient de nouvelles mobilisations, à
commencer par le 21 septembre. C’est le gage d’une montée en puissance du
mouvement, qui s’enracine dans les entreprises, sur les lieux de travail. Nous
allons aussi intensifier notre engagement politique sur la nocivité des
ordonnances et sur les alternatives possibles pour la sécurisation de l’emploi
et de la formation. Évidemment, le premier rendez-vous majeur pour nous est la
Fête de l’Humanité ce week-end. C’est un lieu de solidarité et de fraternité
aux motivations larges. C’est un rassemblement très populaire qui peut
permettre de sensibiliser massivement les salariés et leurs familles, les
jeunes qui participent en nombre à la Fête. Le PCF mettra à disposition une
carte-pétition pour engager la discussion avec chaque participant. Nous la
déposerons en délégation le 22 septembre au Conseil des ministres. Toutes les
forces syndicales, sociales, politiques engagées dans ce combat seront
présentes à la Fête. Nous y pousserons le débat sur les prochaines étapes à
construire. Les organisations politiques sont toutes légitimes à prendre des
initiatives. Pour notre part, nous veillons à ne pas prétendre nous ériger en
surplomb du mouvement social, mais à servir son développement unitaire, à
enrichir ses propositions, à favoriser la maîtrise du mouvement engagé et des
ses objectifs par tous ceux qui s’y engagent.
Participerez-vous à la
manifestation du 23 septembre à l’appel de la France insoumise ?
PIERRE LAURENT : la France
insoumise a annoncé sa propre manifestation dès juillet. Avec le 12 septembre,
çà bouge très vite. À cette date, nous sommes aussi engagés dans les marches
pour la paix. Notre boussole restera la montée en puissance du mouvement et son
unité la plus large. Réussissons les étapes à venir dans l’ordre où elles
viennent.
Emmanuel Macron reproche à ses
opposants de vouloir maintenir le statu quo sur le droit du travail et justifie
ainsi sa saillie sur les « fainéants ». Seriez-vous devenu
conservateur ?
PIERRE LAURENT : C’est une
blague. Et nous allons mener une grande campagne sur les alternatives au projet
de précarisation systématique du contrat de travail. Les propos méprisants
d’Emmanuel Macron comme la prétention du gouvernement et du Medef à être les
seuls partisans des réformes sont une vieille rengaine. On retrouve les mêmes
grosses ficelles utilisées par Sarkozy et Hollande en leur temps. Rien n’a changé. En vérité, il existe un
affrontement de classe sur la manière dont il faut faire évoluer la société.
Ces forces-là prétendent que changer c’est se soumettre toujours plus aux
exigences de la mondialisation capitaliste et de la compétitivité. Nous pensons
au contraire qu’il faut libérer la société de ces entraves. La société est
bouleversée par une révolution numérique qui transforme en profondeur notre
civilisation. Le travail doit lui aussi changer. Ce changement doit accroître
l’émancipation et la maîtrise par les travailleurs eux-mêmes du contenu et du
sens de leur travail. Les forces réactionnaires veulent réduire l’autonomie du
travailleur jusqu’à ce qu’il ne devienne qu’un simple pion de la
mondialisation.
La mobilisation contre la réforme
du Code du travail est-elle décisive pour la suite du quinquennat ?
PIERRE LAURENT : Cette
bataille est évidemment majeure. Elle ne décidera pas seule de la suite du
quinquennat. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la confrontation de
classes. Après l’usure des pouvoirs Sarkozy et Hollande, le nouveau pouvoir a
provisoirement conquis une base électorale mais sa victoire est fragile. C’est
pourquoi il veut frapper vite et fort sur tous les terrains. De multiples
batailles s’annoncent contre les ordonnances, sur le logement, l’éducation,
l’université, l’avenir des communes… L’enjeu sera de construire à travers ces
fronts de lutte des réponses politiques alternatives et de la faire converger
dans un projet politique capable de devenir majoritaire.
Il s’agit de reconstruire la
gauche ?
PIERRE LAURENT : En tout
cas, face à nous, il y a bien un projet de droite soutenu par le Médef. Il s’agit
surtout de construire une alternative progressiste majoritaire autour d’un
projet social écologique, démocratique, qui change véritablement de régime.
Lors des élections, la poussée en faveur d’un tel changement a été forte mais
n’a pas réussi à déjouer les pièges de la présidentielle. Nous avons aussi
touché les limites du « dégagisme » qui a profité à des candidats
aussi opposés à Mélenchon. Le Pen et Macron lui-même. Le mouvement populaire
doit maintenant s’assigner des objectifs résolument positifs. Il s’agit de
reconstruire un nouveau projet social et productif, un projet pour la France
qui ait une portée universelle pour unir les forces progressistes de la
planète. Les acteurs de ce nouveau rassemblement ne seront plus ceux de la
gauche telle qu’elle a existé depuis quarante ans. À nos côtés il y a des
forces nouvelles comme la France insoumise, le mouvement de Benoît Hamon,
d’autres forces se réorganiseront peut-être. La force communiste va être
indispensable à cette réinvention collective. Le Parti communiste est là
debout, prêt à relever ce défi, prêt à changer lui-même pour y parvenir.
Est-il possible aujourd’hui pour
le PCF de travailler à ce projet avec la France Insoumise, au vu des tensions
des derniers mois ?
PIERRE LAURENT : Objectivement,
c’est aujourd’hui compliqué à cause de d’attitudes très sectaires des premiers
dirigeants de la France Insoumise. À l’instar, encore récemment, de la très
surprenante critique de Jean-Luc Mélenchon devant la perspective de voir se
constituer une liste unitaire aux élections territoriales de Corse. C’est
incompréhensible. Mais je constate que le dialogue existe aussi, entre les
députés de nos deux groupes, sur le terrain dans de nombreuses localités. La
montée en puissance du mouvement populaire poussera à la construction commune
et à l’unité nécessaire qui a besoin de respect de toutes les forces en
présence.
L’élection sénatoriale de la
semaine prochaine concerne votre siège comme celui de 15 autres membres de votre groupe. Alors qu’une partie de
la gauche boude cette élection, pourquoi le PCF choisit-il de s’y
investir ?
PIERRE LAURENT : Même si
cette élection est indirecte, le Sénat joue un rôle institutionnel important et
il ne peut être question de laisser un seul pouce de terrain à Emmanuel Macron.
Si nous laissons le Sénat aux seules mains de la droite et des macronistes, le
président de la République aurait les moyens de réformer la constitution avec
les 3/5 du Parlement sans plus jamais consulter les Français par référendum. Il
est vrai que les écologistes n’ont plus de groupe depuis juin, que les
socialistes sont profondément divisés, que la France Insoumise a déclaré
forfait, mais nous, nous relevons ce défi. Le renouvellement de notre groupe,
qui serait le seul capable de porter une voix cohérente face à la droite et au
macronisme, ne va pas de soi mais nous sentons que nos listes sont en train de
rassembler des voix au-delà de nos électeurs acquis. Je suis confiant. Après
l’Assemblée nationale, nous aurons un groupe au Sénat.
Votre Conseil national se réunit
aujourd’hui pour définir les contours de la consultation de vos adhérents en
vue de votre congrès. Quels sont les objectifs de cette démarche ?
PIERRE LAURENT : nous ne
voulons pas préparer notre congrès extraordinaire de 2018 comme d’habitude.
Nous avons parfaitement conscience de la période inédite dans laquelle nous
sommes et les défis de renouvellement qui nous concernent très directement.
Pendant deux mois, du 18 septembre au 18 novembre, nous organisons une
consultation de l’ensemble des communistes sur quatre questions : le sens
et l’actualité du combat communiste ; le bilan de notre démarche politique
et la manière dont nous devons la conduire dans les années à venir ; les
transformations profondes auxquelles le PCF doit procéder ; l’agenda et la
méthode de préparation démocratique de notre congrès. Cette consultation
aboutira à la définition de l’agenda du congrès lors d’une assemblée nationale
des animateurs de section qui se déroulera le 18 novembre et non le 14 octobre
comme nous l’avions envisagé précédemment.
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