Robert Clément : "Avec la disparition des Départements, c'est la vie quotidienne des gens qui est en jeu !
Cela fait des mois que le pouvoir
socialiste a lancé « sa réforme territoriale ». Les déclarations les
plus contradictoires se sont multipliées. Les débats au parlement se déroulent
dans un épouvantable cafouillage. Il est
bien difficile d’y voir clair dans un projet qui devait
« simplifier » réparer » « mettre en œuvre plus
d’égalité » Pour le coup ce vaste projet institutionnel se résumerait à un
« coup d’état dans une vision libérale » s’il devait être adopté
comme l’espèrent secrètement droite et dirigeants socialistes réunis. C’était
évidemment sans compter sans la résistance, sans l’intervention, sans la
pugnacité de nombreux élu-e-s locaux dont le Président de la République et le
premier ministre ont du tenir compte. Pour autant, il serait illusoire de
penser qu’ils auraient renoncé à imposer leur programme destructeur.
On a souvent et à juste titre,
évoqué avec cette réforme une grave atteinte à la démocratie, un éloignement
des citoyens des pouvoirs de décision.
C’est indiscutable, jamais les collectivités locales n’avaient connu une
attaque d’une telle ampleur.
Mais peut-être est-il nécessaire
d’insister davantage sur le fait que c’est la vie concrète des habitants qui
est concernée : école, santé, petite enfance, action sociale,
culture… ?
Les 22 et 29 mars vont avoir lieu
des élections départementales. Les discussions autour de la réforme
territoriale vont les irriguer. Alors que l’on voulait cantonner nos
concitoyens dans un rôle de simples spectateurs, il m’apparaît possible avec ce
scrutin, de leur permettre de faire irruption dans un débat dont on souhaitait
les écarter.
Je m’en explique. La disparition
des Conseils généraux inclus dans le périmètre de la Métropole du Grand Paris
était donnée pour acquise au début de cette année. Depuis c’est le flou et
l’imprécision qui sont cultivés à dessein. On rassure, on manœuvre, il est
cependant une évidence : La perspective de leur disparition reste à l’ordre
du jour. Le Parti socialiste apaise, calme le jeu. Pour une raison extrêmement
simple. Comment ses candidat-e-s peuvent t-ils, dans le même mouvement,
quémander les voix des électrices et des électeurs et expliquer que cet échelon
de proximité disparaîtrait à l’horizon 2020 ? Quelle crédibilité accorder
à des candidat-e-s promettant monts et merveilles alors qu’ils proposent de
voir s’effacer l’institution dans laquelle ils siègeraient ?
Si cette « réforme
territoriale » apparaît très
éloignée des préoccupations des populations, ces élections départementales nous
donnent l’occasion de remettre les
citoyens « dans le jeu », de faire grandir une exigence :
« C’est au peuple de décider ».
Parler programmes dans un
département comme la Seine-Saint-Denis, c’est parler du Revenu Social
d’Activité, des 120 centres de protection maternelle et infantile, de l’Aide
Sociale à l’Enfance, des Collèges, de l’Allocation Dépendance d’Autonomie, du
Handicap, des 54 crèches départementales, de la compétence générale qui lui
permet d’intervenir dans les domaines culturels, sportifs, associatifs. Bref
autant de services de proximité qui touchent directement des centaines de
milliers d’habitants. Dans quelles conditions se feraient de tels
transferts ? Qui en aurait la responsabilité ? Quelles en seraient
les conséquences tant pour les habitants que pour les personnels ? Leur
transfert à la Métropole ou à la région serait de mon point de vue
impensable !
Je n’ai pas peur des mots. Ce
sont ces missions de solidarité sociale et territoriale qui disparaîtraient à
l’horizon 2020 avec l’éloignement des liens et des repères qu’apporte la
proximité. Christian Favier, le Président du Conseil général du Val de Marne et
auteur d’un excellent ouvrage a parfaitement raison de dire que les
départements sont tout aussi utiles en zone rurale qu’en zone urbaine. C’est
particulièrement vrai pour les affaires sociales. Évidemment la main sur le
cœur, promesse est faite que celles-ci seraient confiées à d’autres niveaux
institutionnels. Sincèrement, quelle efficacité peut-on attendre de la gestion
par la région de quelques 450 collèges auxquels s’ajoutent les 250 lycées dont elle a la charge ? J’ajoute
que l’annonce de la disparition des départements aurait des conséquences négatives en termes d’investissement
public. Comment être incité à accélérer un programme de construction de
collèges en sachant qu’en fin de compte cette compétence reviendrait à la
région ? Et que dire des politiques culturelles, sportives, associatives
construites au fil des ans et vouées à l’abandon avec la suppression de la
compétence générale.
Ainsi dans les semaines qui
viennent, les candidat-e-s du PCF et du Front de gauche seront les seuls à ne
pas dire aux électrices et aux électeurs « votez pour nous à ces élections
départementales car ce sont les dernières ».
Au contraire elles, ils
s’adresseront aux femmes, aux hommes, aux jeunes pour les inviter à exprimer un
vote de refus de l’austérité, un vote pour que soit mises en œuvre aujourd’hui
et demain des politiques qui prennent en compte les besoins humains respectueux de l’égalité entre tous les
citoyens et que seul le Département comme espace pertinent peut assurer.
Oui les seuls ! Car
au-delà des positionnements purement
tactiques, les dirigeants socialistes et la droite partagent le même point de
vue sur ce « changement institutionnel ». Hier c’était le Parti
socialiste qui hurlait au charron contre les transferts financiers de l’État,
c’est aujourd’hui la droite qui entonne le même refrain. Je rappelle pour mémoire
que tous les parlementaires, à l’exception des communistes ont voté le 28 mars
2003 la loi constitutionnelle de Jean-Pierre RAFFARIN. Cette « mère de
toutes les réformes » qui constitue la cause essentielle des difficultés
financières considérables que rencontrent les départements avec le transfert du
RMI, des routes nationales et des personnels TOS des Collèges.
À l’époque l’une des seules
critiques était venue de Jean-Paul HUCHON qui écrivait alors : « sur
le fond, pour un régionaliste comme moi, je suis déçu par les intentions du
gouvernement. Je trouve que l’on a manqué une occasion de clarifier la carte
administrative française et de rendre la décentralisation plus concrète et plus
simple. Manifestement, le gouvernement a cédé à différents lobbies je pense
notamment aux DÉPARTEMENTS. Cela prête forcément à sourire, lorsque le même
Jean-Paul HUCHON s’exprimant dans le numéro « spécial Grand Paris »
de l’HD de cette semaine indique à propos des départements : " Je
n’ai jamais soutenu leur suppression, car je n’ai jamais cru à la théorie du
millefeuille, qui cache souvent une volonté de réduire le service public ". Dont
acte !
C’est encore lui, qui en 2002
estimait dans son livre, « la Montagne des singes » que l’une des
grandes affaires du septennat devait être la réforme de l’État et une
décentralisation bousculant les compétences. Il écrivait : « à mon
sens, ce mouvement est inéluctable. Bien sûr, c’est accepter une France
différente de celle d’aujourd’hui ou l’initiative revienne au terrain, les fonctions
régaliennes de l’État, le contrôle aux instances étatiques, commises pour cela.
C’est accepter, en filigrane, une évolution à l’Allemande ou mieux, à
l’espagnole ou à l’italienne. S’agit-il de fédéralisme à proprement
parler ? Peut-être, mais en quoi cela est-il condamnable ? Parions
que l’opinion du Président de la Région Île de France n’a pas changé, mais
c’est à François HOLLANDE et à Manuel VALLS
qu’il reviendrait de porter sur les fonds baptismaux cette « Europe
des régions » dont ils rêvent depuis si longtemps. En 2000 le rapport
MAUROY réaffirmait la nécessité de régions plus grandes et plus fortes dans la
cadre de l’Europe. Le principe de 8 grandes régions aura d’ailleurs été retenu
pour les élections européennes, dès 2004.
Dans son rapport BALADUR, enfonce le
clou en déclarant que « la Région
et l’intercommunalité sont les deux collectivités d’avenir ». Bruno
LEROUX, l’actuel président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale n’est
pas en reste, lui, qui parlant de Plaine Commune dans la revue DEXIA en 2001
écrivait : « Dans la mise en œuvre de nos projets à l’échelle du
bassin de vie le département est déjà
aujourd’hui un obstacle ! On s’arrête aux frontières du département alors
que c’est parfois au-delà de celles-ci que le projet a le plus de pertinence.
Je ne vois que des avantages à la suppression des départements ».
L’affaire vient donc de loin.
Plus récemment, les député-e-s
ont adopté le 31 octobre une proposition de loi pour faciliter la fusion des
communes. Et que lisons-nous ? « Alors que le nombre de communes a été
réduit de 87% en Suède, de 75% en Belgique et de 41% en Allemagne, il n’a pas
diminué en France que de 5%. Sous l’ère SARKOZY un nouveau statut de commune
nouvelle »a été créé, mais seulement 13 ont vu le jour. Alors droite et
dirigeants socialistes s’y mettent pour proposer une loi plus incitatrice,
notamment sur le plan financier. Ainsi il est proposé « un pacte
financier » garantissant pendant 3 ans le niveau des dotations budgétaires
des communes qui se lanceraient dans la création de communes nouvelles de moins
de 10.000 habitants ». Et cela alors que viennent d’être décidés des
coupes sombres budgétaires à hauteur de 28 milliards pour les collectivités
d’ici à 2017. Cette carotte financière que nous avons connue avec la loi
CHEVENEMENT pour inciter à la création des premières intercommunalités avant
qu’elles ne deviennent obligatoires.
Que retenir de tout cela, si ce
n’est le fond commun qui se manifeste dans les positions exprimées tant par la
droite que par les dirigeants socialistes. À savoir leur inscription dans une
Europe libérale, celle du traité constitutionnel, que les français ont pourtant
rejeté il y a presque 10 ans. Compétitivité, concurrence, réduction des
dépenses publiques, accumulation des richesses financières, privatisation. Tels
sont les objectifs assignés à cette réforme territoriale que l’on cherche à
imposer à marche forcée. Loin de répondre à l’intérêt général, aux attentes
sociales, économiques de nos concitoyens, à l’égalité des territoires et des
services publics, comme celle de SARKOZY hier, la loi HOLLANDE s’inscrit dans
une politique d’austérité. Elle est fidèle aux recommandations européennes qui
dictent à la France de « réduire les dépenses publiques de
l’administration centrale mais aussi celles des administrations des
collectivités territoriales ».
Ainsi les « dessous »
de la réforme territoriale seront naturellement au cœur des prochaines
élections départementales. Nous avons donc besoin de clarté.
Les élu-e-s de Paris
Métropole se sont massivement prononcés
pour une nouvelle mouture de l’article 12 de la loi, redonnant aux communautés d’agglomérations des compétences assorties de moyens
financiers avec une montée en charge progressive des compétences de la
Métropole.
Je souhaite que le premier
ministre entende raison et que ce texte
soit celui qui sera soumis au débat des parlementaires. Les élu-e-s du Front de
gauche militent pour une métropole qui rayonne, qui corrige des inégalités
sociales et territoriales. Mais il y a
aussi celles et ceux qui espèrent encore que soit transférée à la Métropole
l’ensemble de la fiscalité économique et puis d’autres qui espèrent tirer
partie de ce consensus pour pousser les feux d’un transfert des compétences
assumées par les Conseils généraux aux intercommunalités, particulièrement dans
le domaine social, avec à la clé une aggravation des inégalités. Leurs
partisans y voient le moyen de justifier la disparition des Conseils
départementaux. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt ce risque, ce
danger existe.
C'EST LA RAISON POUR LAQUELLE IL M'APPARAÎT ESSENTIEL QUE L'AFFIRMATION D'UNE METROPOLE DONT LES COMPETENCES SE RENFORCERAIENT PROGRESSIVEMENT DOIT SIMULTANEMENT ETRE ACCOMPPAGNEE DE L'EXIGENCE DU MAINTIEN DES DEPARTEMENTS, CONDITION DE LA COHESION SOCIALE. Cette attitude doit, sans ambiguïté, être portée par les élu-e-s communistes et du Front de gauche, car elle est partie intégrante du combat contre les inégalités sociales et territoriales. Laisser une partie du champ libre ce serait, j’en suis convaincu, ouvrir une voie royale à celles et ceux qui comme Claude BARTOLONE continuent, avec d’autres, à être les partisans d’une Métropole « intégrée », dépossédant les communes de la petite couronne des moyens de maintenir et développer les services publics.
C'EST LA RAISON POUR LAQUELLE IL M'APPARAÎT ESSENTIEL QUE L'AFFIRMATION D'UNE METROPOLE DONT LES COMPETENCES SE RENFORCERAIENT PROGRESSIVEMENT DOIT SIMULTANEMENT ETRE ACCOMPPAGNEE DE L'EXIGENCE DU MAINTIEN DES DEPARTEMENTS, CONDITION DE LA COHESION SOCIALE. Cette attitude doit, sans ambiguïté, être portée par les élu-e-s communistes et du Front de gauche, car elle est partie intégrante du combat contre les inégalités sociales et territoriales. Laisser une partie du champ libre ce serait, j’en suis convaincu, ouvrir une voie royale à celles et ceux qui comme Claude BARTOLONE continuent, avec d’autres, à être les partisans d’une Métropole « intégrée », dépossédant les communes de la petite couronne des moyens de maintenir et développer les services publics.
Le Président de l’Assemblée
nationale avait dessiné à sa mesure le périmètre de cette Métropole :
celui l’ancienne Seine, en fusionnant les départements des Hauts de Seine, du
Val de Marne et de la Seine-Saint-Denis avec Paris. Un bond en arrière d’un
demi-siècle. Rien d’innovant ni de bien pertinent. Dans une contribution que
j’avais écrite le 21 février 20102, en réponse à la
proposition de Claude BARTOLONE, j’avais indiqué que ce périmètre, « ce
département unique » présentait deux inconvénients majeurs.
« Celui d’oublier, de nier l’histoire de ces territoires et les
dynamiques qu’ils ont su créer », à l’image de la « Seine-Saint-Denis
où au fil du temps se sont élaborées des solidarités, des savoir-faire, des
liens qui unissent les femmes, les hommes, les jeunes au réel. Une terre
parfois violentée, une terre qui réunit le monde, une terre qui souffre encore
du chômage, de la précarité, de la mal vie, de l’incertitude du lendemain, mais
aussi une terre de culture, de création de coopération où se fabrique
l’avenir ».
J’indiquais encore qu’il aurait
le fâcheux désavantage de réduire le fait métropolitain à Paris et aux trois
départements qui l’entourent en ignorant les autres territoires, en leur
tournant le dos ». Je suis satisfait de constater que cette inquiétude que
j’avais exprimée est de plus en plus partagée. Les problématiques du fait
métropolitain vont bien au-delà de Paris et des trois départements qui
l’entourent. Pour justifier la « voie technocratique » qu’il
préconisait Claude BARTOLONE écrivait dans Libération que « la création de
la Seine-Saint-Denis pouvait se comprendre à un moment où les usines étaient là
et où les gens vivaient et travaillaient au même endroit. « Aujourd’hui
ils bougent, écrivait-il,…il faut une gouvernance qui corresponde à la vie
réelle des habitants ». Je ne nie pas les mutations de ces trente
dernières années, mais pourquoi un tel raisonnement ne s’appliquerait-il pas à
d’autres départements de l’Île de France ? L’immense majorité des
salarié-e-s du Val d’Oise et de le Seine et Marne travaillent hors de leurs
murs.
Comment imaginer une Métropole du
Grand Paris en ignorant le plateau de SACLAY, ou bien les aéroports de ROISSY et d’ORLY ? Gabriel MASSOU, Président du groupe Front de gauche au Conseil
régional d’Île de France fait cette juste remarque dans l’article qu’il signe dans le
« numéro spécial de l’HD » et dont je vous recommande la
lecture : « C’est la réalité, la vie des gens qui créent la
métropole, ce n’est pas quelque chose que l’on impose sur une carte ».
Oui il vaut mieux prendre les
choses à l’endroit et mettre au cœur de la réflexion ce qui fait la vie
quotidienne des habitants : salaires, formation, logement, transports,
services publics. Et comment pourrions-nous imaginer un seul instant qu’il serait
possible d’y répondre sans que soient portés d’autres logiques économiques,
sociales, écologiques, démocratiques que celles de l’austérité ? On
voudrait faire croire que les inégalités sociales et territoriales dont souffre
notre région ne trouveraient de solutions que dans une péréquation horizontale,
à savoir un partage, certes nécessaire entre Paris et les trois départements de
la petite couronne. L’agglomération parisienne est une mégapole internationale.
Elle ne peut se passer de l’intervention de l’État en tant que garant de la
solidarité nationale. Faute de quoi nous pourrions attendre encore longtemps la
métropole de demain, solidaire, écologique et citoyenne.
Robert Clément
Robert Clément
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