Article lu dans " le Monde " : À Romainville, mobilisation des habitants pour une famille nombreuse à la rue
Il y a de la colère, à la résidence Gagarine de Romainville (Seine-Saint-Denis). Malgré le froid précoce et la nuit tombée, jeudi 15 octobre, une centaine d’habitants s’étaient réunis au pied du Spoutnik, la sculpture à l’entrée de la cité. Ils étaient venus soutenir la famille Diassiguy, d’origine sénégalaise, violemment expulsée trois jours avant, et qui se retrouve à la rue avec neuf de ses quatorze enfants. A 9 heures, mardi 13 octobre, policiers et gardes mobiles cernaient le bâtiment J mais se heurtaient à des voisins accourus pour empêcher l’expulsion. « Une famille qui est là depuis vingt-cinq ans… On se connaît tous dans cette cité où il fait bon vivre. Mais les expulsions se succèdent, alors on essaie de les empêcher », raconte Mohamed Boughanmi, vice-président de l’association de quartier Spoutnik, affiliée à Droit au logement et qui a grandi là.
A l’approche de la trêve hivernale, qui débute le 1er novembre
et interdit toute exécution d’expulsion jusqu’au 31 mars, le bailleur
multiplie les évacuations manu militari. M. Boughanmi a d’ailleurs, en
s’interposant mardi, pris un coup de matraque sur la main ce qui lui vaut une
fracture à deux doigts et quinze jours d’incapacité de travail, très gênante
pour cet autoentrepreneur en réparation de matériel de restauration. Accusé
d’avoir blessé un policier, ce qui s’est révélé inexact par la suite, il avait
été menotté et placé en garde à vue une dizaine d’heures, puis relâché sans
aucune poursuite.
Romainville Habitat, le
bailleur, avait engagé la procédure à l’encontre de la famille Diassiguy dès
juillet 2013, avec un premier commandement de payer. A l’époque, la dette locative de
4 853 euros paraissait encore remboursable par la famille mais la
Caisse d’allocations familiales (CAF), en suspendant le versement des aides au
logement du fait des impayés, l’a fait rapidement enfler, le reste à charge mensuel pour la
famille étant passé de 40 à 650 euros par mois. Le 27 novembre 2014,
le tribunal d’instance de Bobigny prononçait la résiliation du bail, condamnait
les parents à payer 6 285 euros et à quitter les lieux. Alertée,
toute la famille s’est mobilisée et a tenté de combler le
retard de paiement.
« Cette
solidarité fait chaud au cœur »
Si un des enfants n’a pas suivi le droit chemin, quatre
autres, devenus adultes, ont pris leur autonomie, travaillent et
réussissent : Aissatou, 22 ans, est vendeuse dans un commerce à Créteil,
Mama, technicienne à la CAF, Mariama en quatrième année de droit à Nanterre, se
dirige vers une carrière d’avocate en droit social, et Moktar travaille dans la
finance. En mars, ils obtiennent de la justice un sursis pour quitter les lieux au
30 septembre, mais l’office HLM se montre intraitable et refuse tout
protocole d’accord qui aurait permis la reprise du versement des aides au
logement. Pourtant, en cumulant les efforts de remboursement des impayés de la
famille avec les arriérés d’allocations qu’aurait versé la CAF, la dette aurait
facilement était éteinte.
« Depuis dix ans, la famille
Diassiguy paie très irrégulièrement sa quittance malgré de multiples plans
d’apurement et un accompagnement social, se défend la présidente de l’office, Asma
Gasri, ajointe de Corinne Valls, maire (PS) de Romainville. Il y a une question d’équité vis-à-vis des autres locataires qui font
des efforts : 1 000 de nos 35 000 locataires ont des
retards et nous accordons habituellement des délais. Mais là ce n’est plus
possible », estime-
t-elle. Le bailleur argue aussi de troubles de voisinage qui sont pourtant loin
d’être démontrés. L’appartement est en mauvais état et surpeuplé, mais la
dizaine de locataires interrogés par un huissier dépêché par l’office témoigne
de l’absence de nuisance de la famille à l’exception des enfants qui courent
dans les étages.
Jeudi, la mobilisation du quartier était
impressionnante : des professeurs et le principal du collège voisin ont
manifesté leur soutien, des voisins ont recueilli les enfants, une pétition de
60 signataires réclame leur réintégration. « Cette
solidarité fait chaud au cœur », souriait Mariama, la future avocate,
suspendue à son portable pour appeler le
115 et trouver une
solution : peut-être des nuits d’hôtel... payées au prix fort par l’Etat.
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