Le Grand Paris Express: " la spéculation foncière va bon train, comme à Romainville ?
Nous publions cet article paru dans l'Humanité du mercredi 13 juillet. Il nous fait part des nombreux élus lançant de grands projets urbains avec un risque non négligeable : faire monter les prix du foncier et de l'immobilier. On y évoque ce Maire vendant une partie de la place de la gare, jusqu'ici publique, pour y faire de l'accession à la propriété. "Un eldorado pour les promoteurs". "créer du logement mais surtout de transformer l'image de la ville et la rendre plus attractive". Traduction : "d"arrêter de faire du logement social pour embourgeoiser sa ville et changer la population". On y lit encore que dans une autre ville, la modification du Plan Local d'Urbanisme par la municipalité, des agents immobiliers ratissent les zones pavillonnaires pour les informer qu'ils sont "mandatés par les promoteurs pour identifier les opportunités de vente". N'est-ce pas ce que nous connaissons à Romainville avec la vente aux promoteurs de nombreuses propriétés communales, les multiples opérations immobilières qui envahissent le paysage, les nombreux propriétaires qui reçoivent la visite des promoteurs pour acheter leurs biens ?
De vastes projets urbains se préparent autour
des gares du Grand Paris Express. Un chantier colossal qui pourrait ne pas
profiter à tous. Si certaines collectivités encadrent le marché, d’autres le
laissent faire. Au risque d’une explosion des prix qui repoussera plus loin les
familles modestes. Enquête.
Le « kilomètre 1 » du Grand Paris Express a
été lancé en grande pompe, le 4 juin dernier, à Clamart (Hauts-de-Seine). Avec
ballet de tractopelles, valse d’élus et… Camélia Jordana. Deux tunneliers vont
plonger dans le sous-sol de cette ville des Hauts-de-Seine pour creuser une
partie de cette infrastructure de transport, présentée comme le « chantier du
siècle ». 200 km
répartis sur quatre nouvelles lignes. 22 milliards d’investissement. 10 000 à
15 000 emplois directs par an pour bâtir « le métro le plus digital du
monde ». Et en surface aussi, cela va s’agiter. De nombreux élus en profitent
pour lancer de grands projets urbains autour des 68 nouvelles gares
programmées, avec un risque non négligeable : faire monter les prix du foncier
et de l’immobilier.
Une parodie de Paris, à la sauce Disney et
couleur guimauve
C’est le cas à Clamart, où le maire UDI,
Jean-Didier Berger, prévoit de bâtir, sur 2,5 hectares, des immeubles
néo-haussmanniens avec mansardes, fer forgé, crépi rose, balustrades et toit en
zinc. Une parodie de Paris, à la sauce Disney et couleur guimauve. « Surtout,
le maire va vendre aux promoteurs une partie de la place de la gare, jusqu’ici
publique, pour qu’ils fassent de l’accession à la propriété », dénonce Gérard
Aubineau, élu PCF au conseil municipal. « C’est un eldorado pour les promoteurs
», préviennent aussi les élus de l’association Clamart citoyenne (PG, Ensemble,
EELV). Jeune professionnel de l’immobilier, le maire de droite, lui, assume.
L’arrivée prochaine du Grand Paris Express doit être l’occasion, explique-t-il
sur son blog, de « créer du logement mais surtout de transformer l’image de la
ville et la rendre beaucoup plus attractive ». Traduction : d’« arrêter de ne
faire que du logement social ».
L’édile de droite n’est pas le seul à faire une
offrande aux promoteurs et à la gentrification. Au Blanc-Mesnil
(Seine-Saint-Denis), le maire (LR), Thierry Meignen, a lancé fin juin un projet
délirant pour embourgeoiser sa ville et changer sa population.
Un « véritable Far West pour les promoteurs »
Un quartier de 720 logements serait créé à
proximité d’une des deux futures gares programmées sur sa commune pour, dit-il,
« attirer les Parisiens » et « ceux qui ne peuvent se loger dans la capitale ».
À terme, près de 1 700 habitants pourraient emménager dans cet ensemble de
50 000 mètres carrés. Un « village dans la ville », ose le maire dans les
colonnes du Parisien, avant de mettre en avant la faible proportion de HLM (6
%) et le « style ancien » de l’ensemble. « Nous avions prévu un projet à cet
endroit, explique l’ancien maire PCF Didier Mignot, mais il était bien plus
modeste (200 logements), et comprenait 30 % de logements sociaux. » Lui
aussi déplore que sa ville soit devenue, depuis quelques mois, un « véritable
Far West pour les promoteurs ». Résultat, depuis la modification du plan local
d’urbanisme par la nouvelle municipalité, des agents immobiliers ratissent les
zones pavillonnaires pour les informer qu’ils sont « mandatés par des
promoteurs pour identifier les opportunités de vente » dans leur quartier.
Lesdits promoteurs assurent vouloir « acquérir rapidement » dans cette zone, en
« valorisant les biens différemment du marché résidentiel traditionnel ». En
clair : vendez aux plus offrants, il y a de l’argent à se faire !
On se croirait dans le roman de Zola la Curée,
qui voit Aristide Saccard monter à Paris pour tirer profit des travaux
d’Haussmann. « Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande
danse », explique cet homme d’affaires véreux obsédé par « le flot montant de
la spéculation ». La métropole parisienne du XXIe siècle sera-t-elle le Paris
du second Empire ? Un espace, comme l’écrivit Zola, « haché à coup de sabre,
les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par
d’admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux
quartiers » ? On pourrait le croire, ces derniers temps. Un jeune agent
immobilier, rencontré il y a quelques semaines à Saint-Ouen, nous confiait
qu’il avait acheté plusieurs appartements à Carrefour-Pleyel, à Saint-Denis, en
raison du prolongement de la ligne 14 et de la construction annoncée d’une gare
métropolitaine. Il attend tranquillement de récolter plusieurs fois la mise
lorsque ce quartier deviendra le centre névralgique du Grand Paris.
Un film à la gloire du Grand Paris pour séduire
les investisseurs
Et puis, il y a eu l’affaire, l’an dernier, des
anciens studios de la SFP. Un marchand de biens a racheté ce haut lieu du
cinéma et de la télévision trois fois plus cher que le prix du marché. Adossé à
des investisseurs brésiliens, il espérait faire une belle plus-value grâce à
cet immense espace jouxtant la future gare de Bry-Villiers-Champigny, dans le
Val-de-Marne. Une formidable mobilisation du milieu du cinéma et des élus
locaux a empêché pour un bon moment que ces décors de film ne se transforment
en juteuse opération immobilière. Qu’en sera-t-il en 2022 ?
La construction des gares va accroître, à long
terme, l’attractivité de leur quartier d’implantation, reconnaît Benoît Labat,
directeur de la valorisation et du patrimoine à la Société du Grand Paris,
structure publique chargée de bâtir les futures gares. Mais il nuance
aussitôt : « Nous ne constatons pas d’emballement des prix des fonciers aux
abords des futures gares. Bien au contraire. Les prix, en moyenne, ont plutôt
baissé et le marché est atone, ce qui nous a permis d’acquérir des parcelles
pour les futures gares sans trop de difficulté. » En moyenne, c’est vrai, les
prix sont passés de 4 590 euros du m2 à 4 515 euros entre 2011 et 2014, analyse
une note de conjecture de l’Observatoire régional du foncier (ORF), publiée fin
2015. À peine 9 quartiers, sur les 68 où s’arrêtera le supermétro, ont vu leurs
prix augmenter par rapport au prix moyen du reste de leur commune. Mais c’était
il y a deux ans… « Un nouveau réseau de transport n’entraîne pas
automatiquement une hausse des valeurs foncières et immobilières », rappelle
Martin Omhovère, chargé des études à l’ORF. Pour le chercheur, l’attractivité
d’un quartier dépend d’énormément de paramètres : « La présence d’aménités,
d’espaces verts, de services publics, la qualité du bâti, l’environnement ont
parfois des effets plus importants que l’arrivée d’une nouvelle solution de
transport… » Raison pour laquelle il ne se passera rien dans certains
quartiers, prévient Vincent Renard, chercheur et spécialiste des questions
foncières. « Le territoire francilien est très diversifié, et beaucoup de gares
se trouvent dans des zones vides, sans activité, des lieux morts ! »
Un autre facteur va jouer aussi un rôle non
négligeable : le temps. « Il faut attendre 2027 pour voir certaines gares
achevées, explique Benoît Labat. Pour le grand public, comme pour les
professionnels de l’immobilier, c’est très loin. Les mentalités ne changent
qu’à partir du moment où les travaux démarrent réellement. » Tout va donc
changer cet été. Outre le lancement officiel du chantier, la préfecture
d’Île-de-France prévoit de diffuser un clip à la gloire des investissements du
Grand Paris dans toutes les villes d’Île-de-France et auprès de toutes les
ambassades étrangères. La hausse des prix risque donc d’être imminente. « Si
les signes de reprise d’activité devaient se confirmer, la question de l’offre
foncière mobilisable pour la construction se posera avec une acuité nouvelle »,
souligne d’ailleurs la note de conjecture de l’ORF.
Les pouvoirs publics, de leur côté, auraient dû
profiter de ce grand projet pour mettre en place des outils puissants
d’intervention publique, au niveau de la métropole, pour encadrer le marché
foncier, souligne d’ailleurs Vincent Renard : « Des solutions existent, comme
la dissociation du sol et du bâti (qui déconnecte le prix de l’immobilier du
foncier, qui reste propriété publique – NDLR), les instruments législatifs
aussi, mais il y a une espèce de passivité devant le principe même de la
propriété publique des sols. » De même, si des ressources propres ont été
allouées à la Société du Grand Paris pour construire le supermétro, celle-ci ne
dispose que de peu de moyens pour mener des opérations d’aménagement et
encadrer le marché immobilier. « La loi ne nous a pas donné de compétences pour
cela, il revient aux communes, et aux intercommunalités franciliennes, à
compter de 2017, de maîtriser leur territoire », constate Benoît Labat.
« Nous prenons très au sérieuxle risque de
spéculation »
De fait, les collectivités ont des armes pour
agir, et peuvent aussi s’appuyer sur l’établissement foncier d’Île-de-France
pour réserver certains terrains et créer des logements abordables aux abords
des gares. Mais certaines d’entre elles choisissent délibérément de laisser
faire le marché, comme au Blanc-Mesnil. Elles sont soutenues par Valérie
Pécresse, présidente de la région Île-de-France, qui a décidé d’arrêter de
subventionner le logement social dans les villes qui en comptent déjà plus de
30 %, ce qui est le cas dans les villes de première couronne qui vont recevoir
le Grand Paris Express. « Elle nous dit sans cesse qu’elle veut faire un “Grand
Paris de l’innovation”. Mais l’innovation, ce serait une métropole qui résorbe
les inégalités sociales et territoriales créées par le marché ! En
Seine-Saint-Denis, nous avons obtenu des gares pour désenclaver de nombreux
quartiers, comme à Clichy-Montfermeil, Aulnay ou Sevran-Beaudottes. Il ne
faudrait pas que ce projet repousse encore plus loin les populations les plus
modestes », plaide Didier Mignot, élu communiste à la région.
Située à deux stations de Clamart sur la future
ligne 15 sud, la ville de Bagneux (Hauts-de-Seine) a signé, le 5 juillet, une
nouvelle charte avec une trentaine de promoteurs et d’opérateurs de la
construction. Le but ? Fixer un plafond moyen aux appartements vendus sur sa
commune, à 4 150 euros le m2, dans un secteur situé autour des futures gares.
Chaque promoteur devra proposer des formations aux futurs copropriétaires,
financer des activités culturelles, respecter des exigences de qualité, avec
des espaces partagés dans les immeubles, le rattachement à la géothermie, etc.
Même volontarisme du côté de Plaine Commune, qui
regroupe neuf villes autour de Saint-Denis et d’Aubervilliers. « Nous prenons
très au sérieux le risque de spéculation, mais nous utilisons tous les moyens
possibles pour la maîtriser », explique son président, Patrick Braouezec.
L’intercommunalité préempte un bien lorsque les prix de vente sont trop élevés.
Elle a aussi créé une société d’économie mixte avec l’établissement foncier
d’Île-de-France, la Foncière Commune, pour constituer des réserves foncières et
anticiper les éventuelles hausses de prix. À l’œuvre depuis des années, cette
politique produit des résultats : un programme neuf au pied de la station
Front-Populaire (ligne 12), récemment inaugurée, sort de terre à 3 500 euros du
m2. À Paris, à 300 mètres
à peine, et sans métro à proximité, le prix monte à 8 000 euros… « Ce n’est pas
un hasard, insiste Patrick Braouezec. C’est parce qu’il y a une volonté
politique de Plaine Commune de lutter contre la spéculation foncière et
immobilière que nous arrivons à de tels écarts. »
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